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là où le sang a coulé. » Ce proverbe, emprunté aux Indiens, avait été leur seule réponse à toutes les propositions de paix. Il eût fallu d’ailleurs que le compte des morts fût égal entre eux suivant la loi de la vendetta, et il paraît que les Ramalhos devaient, sous ce rapport, un solde assez considérable à leurs adversaires. Dans les premières années d’une colonie, il est rare que les liens du sang ne s’étendent pas à tous les habitans. Ceux de Saint-Paul se trouvaient donc, qui plus, qui moins, alliés à l’une ou à l’autre des deux familles, de sorte que la ville, divisée en deux camps ennemis, ressemblait moins, au dire du manuscrit, à une réunion de chrétiens qu’à une horde de Tapuyas.

L’autorité civile avait fait de vains efforts pour réprimer ces fureurs et ces discordes intestines. Dans un moment d’énergie, le gouverneur ayant voulu faire pendre un des Pinheiros pris en flagrant délit de meurtre, les parens du coupable s’étaient réunis en armes, l’avaient arraché au supplice, et pendant deux jours le gouverneur s’était vu assiégé dans son logis, où il serait mort de faim sans une vieille esclave qui trouva moyen de lui faire passer quelques fruits. L’évêque, de son côté, eût volontiers lancé une excommunication contre les fauteurs de troubles ; mais il n’était rien moins que sûr de l’effet des armes de l’église contre ces mécréans, quoique le premier venu d’entre eux eût répondu par un bon coup de poignard à quiconque l’eût traité d’hérétique.

Le mal devint cependant intolérable à ce point qu’il fallut à tout prix y trouver un remède. Le gouverneur ne vit rien de mieux que de mettre à profit l’ardeur des deux partis pour les aventures, et de leur proposer une double expédition dans l’intérieur, espérant qu’au moins quelques-uns des plus turbulens ne reparaîtraient jamais à Saint-Paul.

Le soin de négocier avec les chefs des deux familles fut confié à un religieux universellement respecté pour ses vertus, le père Rafaël Macedo, ancien compagnon d’Anchieta dans ses derniers travaux au milieu des Indiens. La chronique ne disait cependant pas qu’il eût, comme ce dernier, le don de prophétie, ni celui d’entendre le langage des oiseaux, encore moins la faculté de rester