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ment, invoquer son étoile, et ne pas reculer devant l’avenir, dans la crainte de gâter le présent. S’il est sage de s’arrêter à temps et de ne pas découronner, par une ambition démesurée, un front glorieux et vénéré, c’est une misérable pusillanimité de contempler chaque matin l’ombre silencieuse des années évanouies, de s’adorer dans le passé, et de s’agenouiller devant sa renommée sans essayer de l’agrandir. Les hommes qui se divisent ainsi en deux parts, et qui trouvent en eux-mêmes l’autel et le prêtre, seront toujours, quoi qu’ils fassent, des natures incomplètes et boiteuses. La foule aura toujours le droit de railler leur oisiveté ; et la postérité, fille de leur paresse, oubliera ce qu’ils ont été en voyant ce qu’ils sont. Cette immobilité qu’ils appellent sainte, où ils s’enferment comme dans un tabernacle, ne les défendra pas contre l’ingratitude. Ils assisteront vivans aux funérailles de leur nom, et le flot des générations naissantes les enveloppera comme un immense linceul. — Je remercie donc bien sincèrement M. de Lamartine de ne s’être pas endormi au bruit de son nom, et d’avoir tenté des voies nouvelles. La puissance la plus réelle gagne toujours à s’exercer. Mais dans ces voies nouvelles qu’a-t-il fait ? De ces villes qu’il a parcourues, de ces peuples qu’il a interrogés, quels enseignemens ou quels poèmes nous a-t-il rapportés ? A-t-il pris parti pour la réflexion ou l’invention ? A-t-il recueilli, chemin faisant, des données inattendues pour l’histoire des races ? A-t-il ajouté quelque lumière nouvelle aux travaux de l’Allemagne savante ? A-t-il trouvé au berceau du christianisme des légendes ignorées de l’Europe ? Rien de tout cela ; il a murmuré doucement sur les rochers de Josaphat, sur les cèdres de Salomon des prières à peine articulées.

Il a chanté d’une voix nonchalante le néant des empires ensevelis, la grandeur de Dieu, et la misère de l’homme. Il a répété, comme un écho lointain, les Psaumes du prophète-roi, mais si bas et si doucement, que l’oreille la plus vigilante laisse échapper la moitié des sons qui glissent de ses lèvres. Par malheur, le chrétien, le philosophe et le poète se disputent à chaque page la pensée du voyageur. Après une heure de marche sous le soleil brûlant de Jérusalem, après une fervente invocation à celui qui a souffert et qui est mort pour le salut de tous, le pélerin oublie tout à coup son rôle, il discute l’authenticité des traditions, il révoque en doute la désignation des