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VOYAGE EN ORIENT.

dine a prêté son visage au favori de Léon x, pour ses divines madones ? Si nous le savions, Milton et Raphaël garderaient encore le rang qui leur appartient dans l’histoire de l’art ; mais nous aurions pour leurs ouvrages immortels une admiration plus familière et plus pénétrante.

Si donc, M. de Lamartine avait écrit sur l’Orient un grand poème égal aux Méditations et aux Harmonies, et qu’il nous eût donné quelques fragmens de son voyage, plus naïvement tracés, comme pièces justificatives, comme une confidence tout à la fois modeste et hardie sur les procédés de son intelligence, il y aurait dans cette lecture le double charme d’une révélation et d’une étude. Nous aimerions à épier, dans un esprit d’élite, l’impression des lieux et des hommes, à écouter dans cette ame harmonieuse le retentissement de la vie quotidienne. Il ne l’a pas voulu ; il a interverti l’ordre naturel, l’ordre légitime et logique ; il nous a donné le commentaire d’un livre que nous n’avons pas, les pierres d’un temple qui n’est pas bâti.

Il y a, je ne veux pas le nier, une parenté intime entre les Méditations et l’histoire biblique. M. de Lamartine s’est de bonne heure assimilé la substance la plus précieuse de la poésie chrétienne. Il s’est nourri assidument du Cantique des Cantiques, et des Psaumes de David. Mais on ne saurait, sans aveuglement, chercher dans le Voyage en Orient l’interprétation et le complément d’un recueil d’élégies dont la plupart appartiennent à des souffrances toutes personnelles. Les Méditations et les Harmonies sont complètes par elles-mêmes, et n’ont besoin d’aucune histoire, ni d’aucune géographie, pour se révéler pleinement. C’est un dialogue de l’homme avec Dieu et la nature, dont chaque verset domine la science humaine, dont l’espérance et la prière sont les thèmes éternels ; c’est une mélodie qui ne s’enseigne nulle part, et dont chaque note jaillit avec les sanglots.

Il semble que M. de Lamartine, plein de confiance dans son génie, ait cru qu’il pouvait le sommer à toute heure de chanter à pleine voix les merveilles de l’Orient. Ce n’est pas moi qui lui conseillerai jamais, non plus qu’aux hommes de sa trempe, une fausse modestie. Quand on est, comme lui, en possession de l’admiration européenne, il ne faut pas douter de ses forces, il faut marcher hardi-