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bien pardonnable assurément, et qui ne peut enivrer que les orgueils vulgaires, il reste pour les esprits sérieux une instruction solide et durable. Après avoir suivi attentivement la transition de la réalité à la beauté, après avoir appris comment la vie s’élève jusqu’au poème, le lecteur fait un retour sur lui-même, et fouille dans ses souvenirs. Il contemple avec une tristesse résignée toutes les journées ensevelies à jamais, et qui, pour vivre glorieusement, n’attendaient que la fécondation. Il compare page à page le livre de sa conscience avec le livre splendide qu’il vient de parcourir. Et loin de se trouver humilié en rassemblant pour lui seul les épisodes dispersés de cette épopée sans Homère, il se console dans une pensée austère : c’est que peut-être ses souffrances n’avaient pas comblé la mesure, c’est que le vase n’était pas rempli, c’est qu’il n’y avait pas assez de larmes amassées pour déborder en flots harmonieux.

Et puis il y a pour la critique des profits sans nombre dans cette anatomie de la pensée. Bien des questions obscures, bien des problèmes sans issue s’éclairent d’un jour inattendu en présence de ces deux natures dont une seule d’abord nous avait été livrée. Nous avions le poète, et nous l’admirions ; maintenant l’homme est devant nous. Nous pouvons compter les rides de son front, les plis dédaigneux de sa lèvre, les sillons de sa joue amaigrie ; nous touchons du doigt les plaies naguère ruisselantes, aujourd’hui cicatrisées, mais non pas guéries. Nous savons quelle blessure est cachée sous le pli de son manteau, quel souvenir furieux, quelle révolte insolente se dissimule dans son attitude héroïque : il n’est pas moins grand, mais il est mieux compris ; il n’est plus demi-dieu, mais il domine encore le reste de l’humanité de toute la hauteur de ses souffrances ; car la douleur n’est pas un des moindres priviléges du génie.

Plût à Dieu que tous les artistes éminens eussent laissé sur eux-mêmes des notes pareilles à celles de Byron ! Plût à Dieu que Mozart, Raphaël et Milton nous eussent livré le secret de leurs inspirations ! Don Juan, les Loges et le Paradis Perdu ne perdraient rien à ce vivant commentaire du poète glorieux par l’homme misérable. Quelle blonde fille de l’Angleterre a posé devant le maître d’école aveugle pour l’idéale figure de la première femme ? Quelle conta-