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VOYAGE EN ORIENT.

vrage. Mais juger comme une esquisse un ensemble de traits dont pas un n’est tracé sans viser à l’effet, ce serait une coupable indulgence.

Est-ce à dire que le journal de M. de Lamartine est absolument dépourvu d’intérêt ? N’y a-t-il aucun profit dans cette lecture ? Non sans doute. Seulement ce journal n’est pas venu en son temps. Le recueil misérable publié par Thomas Moore contient plusieurs lambeaux du journal de Byron. Ces lambeaux n’ont guère par eux-mêmes plus de valeur que le Voyage en Orient ; à la vérité, ils ont pour le philosophe l’inestimable mérite de n’être pas destinés au public ; ils sont vraiment tracés avec désintéressement, pour l’unique mémoire du narrateur. C’est la conscience manuscrite du poète. Mais ils ont en outre un immense avantage sur les fragmens de M. de Lamartine ; ils servent de commentaire à des poèmes achevés. Prenez au hasard dans ce journal informe, déchiré par la main d’un ami, telle page que vous voudrez, et vous y trouverez l’explication triviale peut-être, mais à coup sûr intelligible, d’une inspiration qui, sans ce naturel interprète, serait pour nous mystérieuse et impénétrable. Lara n’est pas encore complètement révélé. Mais Manfred, par exemple, est indiqué presque jour par jour dans les notes de Byron. Ce qu’il dit du spectacle de la nature alpestre, et de la merveilleuse harmonie des montagnes désolées et des ames désertes ou dévastées par d’invisibles orages, se superpose avec une rigueur toute scientifique à toutes les parties de Manfred. On voit poindre le bourgeon de la pensée. L’épanouissement des premières feuilles, la pousse des branches, rien ne manque à la curiosité du lecteur. L’œil suit d’heure en heure toutes les transformations de la plante. Il semble qu’après avoir assisté à toutes les métamorphoses de la pensée poétique, le procédé soit trouvé. Les ames simples se persuaderaient volontiers qu’il suffit d’aller voir les Alpes pour en rapporter un autre Manfred, tant le développement des idées poétiques est lent, naturel, continu ; tant il est facile de noter l’itinéraire suivi par l’intelligence de Byron. Il ne reste plus qu’une condition à remplir pour atteindre le poète, une condition bien aisée à définir : voir avec les mêmes yeux que lui, c’est-à-dire avoir vécu comme lui avant de voir, ou, en d’autres termes, être lui avant de regarder. Mais au-delà de cette illusion