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faudrait une singulière inexpérience. Il y a telle page dans les nouveaux volumes de M. de Lamartine qui a dû être déchirée plusieurs fois avant d’arriver à bien. Je citerais plus d’un éblouissement dont le programme, arrêté dix-huit mois d’avance, ne s’est réalisé qu’au retour.

Je pardonnerais de grand cœur cette petite supercherie, si, dans tout ce désordre arrangé, j’entrevoyais un travail sérieux. Mais, par malheur, il n’en est rien. Ce n’est plus l’inspiration, et ce n’est pas encore la réflexion. C’est une demi-volonté qui défend aux paroles de se confondre et de se contrarier en se pressant, mais trop paresseuse encore pour leur commander de s’ordonner selon des lois prévues. L’étude a disparu, et nous n’avons pas le tableau.

La Grèce, la Syrie et la Turquie offraient au pinceau du paysagiste trois types achevés et distincts. Mais, pour peindre ces trois types, il eût fallu les contempler plus de huit jours, et surtout ne pas se hâter de dessiner. Les premières lignes qui s’offrent à la vue ne sont pas toujours les meilleures. Le modèle ne révèle pas du premier coup son aspect le plus heureux et le plus vrai. Pour avoir méconnu cette leçon donnée par tous les maîtres sérieux, M. de Lamartine a composé sur l’Orient des paysages confus, vagues et luxurians. La même formule d’admiration et d’extase embrasse tous les spectacles. Qu’il s’agisse des lignes sobres du Parthénon ou des flancs boisés du Liban, des plaines ardentes de la Palestine ou du splendide amphithéâtre de Constantinople, ni la parole ni la pensée ne consentent à se varier. C’est une suite monotone de superlatifs qui s’égorgent en se succédant. C’est toujours le plus beau et le plus magnifique des paysages. La crédulité complaisante du lecteur ne sait auquel entendre. Les couleurs s’effacent en se multipliant. Quand la mémoire essaie de rassembler ce que l’œil a vu, elle est forcée d’avouer son impuissance. Elle ne réfléchit que des plans ondulés, mais indistincts ; le fleuve de la pensée charrie pêle-mêle le sable des plaines, les cèdres de la montagne, les marbres inutiles, les toitures peintes et dorées ; mais il ne dépose sur la rive curieuse rien qui puisse figurer une ville ou une vallée, un temple ou un monastère. Il y a dans cette confusion désespérée tous les élémens d’une belle et grande peinture ; le temps et surtout la volonté ont manqué à l’achèvement de l’ou-