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s’arrête plus. Chacune de ses promenades est un commentaire du Pentateuque, des Rois ou des Prophètes. Il reconnaît à chaque pas les lieux qu’il a visités dans les rêves de son enfance. Il désigne du doigt à ses compagnons la grotte d’Élie, le tombeau des Machabées, le temple de Salomon, comme s’il avait enseveli les guerriers ou sculpté le cèdre pour le sage des sages. Il n’hésite pas un instant à baptiser chacune des pierres qu’il rencontre devant lui. Il dénombre les ruines comme ferait un amiral des vaisseaux de sa flotte. C’est une merveilleuse et imperturbable assurance. D’Anville, parcourant la campagne d’Athènes, n’aurait pas, dans le regard ou dans la voix, plus de hardiesse et de sérénité. Il semble que M. de Lamartine se promène, après un exil de quelques années, dans un parc où il aurait passé sa jeunesse. Il sait l’âge des arbres, il sait quelle main les a plantés. Jamais, je crois, la divination ne s’est montrée si pénétrante.

Ses conjectures sur les ruines de Balbek dépassent de bien haut ses réflexions chagrines sur l’architecture grecque. Il commence par avouer son ignorance ; mais son aveu le met à l’aise. Une fois décidé à ne pas épeler les questions qui se présentent, il les résout hardiment. Il est peut-être difficile de saisir ce qu’il pense du type de ces monumens gigantesques. L’esprit flotte incertain et n’ose pas se prononcer. Mais, en revanche, il est impossible de ne pas admirer le dédain dans lequel il enveloppe tous les érudits assez patiens pour apprendre la valeur d’un triglyphe ou d’un stylobate. Qu’il vaut bien mieux parler d’architecture sans l’avoir étudiée ! L’étude est un labeur mesquin, c’est le procédé des petits esprits.

Les pensées de M. de Lamartine sur la Turquie ont un caractère plus direct et plus facile à saisir. À Bayruth, à Jérusalem, et parmi les ruines d’Athènes, il soutenait de son mieux son rôle de poète ; l’histoire, le sentiment religieux, suffisaient à défrayer la plupart de ses pages. Sur les rives du Bosphore, sa prédilection pour la discussion politique se déploie plus librement. Il entame d’un ton cavalier, comme pourrait le faire un homme vieilli dans les chancelleries, la question russe, anglaise et française. Nesselrode, Metternich ou Talleyrand hésiteraient à se prononcer ; mais l’illustre voyageur applique à la solution des difficultés militaires et diplomatiques la seconde vue des prophètes. Là où la sagesse de Mon-