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VOYAGE EN ORIENT.

désappointemens résignés ? Se croyait-il condamné à l’ostracisme par l’inviolable générosité de ses opinions, et voulait-il demander à la patrie de Socrate et d’Aristide une leçon de sagesse et de patience ? ou bien, par un retour naturel vers les premières impressions de son enfance, désirait-il voir de ses yeux et toucher de ses mains le sol merveilleux où s’était accompli le drame de la religion chrétienne ? Éprouvait-il le besoin de consacrer, par un pieux pélerinage, les croyances de ses jeunes années ? Espérait-il fortifier sa foi contre le doute envahissant ? Allait-il assister à l’agonie du colosse ottoman, écouter le râle d’un empire qui s’éteint, et dérober à la mort le mystère de la longévité ? Voulait-il recueillir, sur la maladie de cette nation qui se décompose, des documens salutaires à la France ? Avait-il dit en lui-même, le 20 mai 1832, en saluant le port de Marseille : Je vais savoir comment s’y prennent les monarchies pour s’user en trois siècles ? Je découvrirai dans les yeux du mourant, dans les pulsations ralenties de ses artères, quelles blessures il a reçues, et je rapporterai, à mon retour, des conseils austères pour une monarchie naissante ? Était-ce l’amour de l’art antique, le culte de Phidias et de Polyclète qui le menait aux rives de la Grèce ? Voulait-il contempler dans une muette extase les débris du Parthénon ? Voulait-il s’asseoir parmi les marbres inanimés, et demander à ces ruines éloquentes le génie des demi-dieux qui leur avait donné la vie ?

Les questions se multiplient et demeurent sans réponse. Religion, philosophie, histoire, poésie, tout est parti de l’Orient, tout y retourne aujourd’hui, sinon pour s’éclairer, du moins pour s’instruire de sa naissance et de ses premiers bégaiemens. Tant de projets peuvent se tourner vers ce berceau de l’humanité, que le voyageur le mieux préparé peut bien changer, chemin faisant, d’ambition et de volonté. Mais ce n’est pas moi qui devinerai quelle pensée a présidé au voyage de M. de Lamartine. J’incline à croire qu’il n’a vu dans ce déroulement de paysages qu’une distraction, un délassement, et rien de plus. Il est parti pour ne pas rester, parti parce qu’il ne trouvait plus d’émotions dans le spectacle de l’Italie, parce que Naples et Florence n’avaient plus rien à lui apprendre. La curiosité qui l’entraînait était vague et maladive, et c’est ce qui explique en partie l’extrême rapidité de son voyage. Il ne s’est