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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

pour l’amie intime de cette ame de génie, pour la dépositaire de tant de pensées aimantes, M. de Châteaubriand a modifié et agrandi ses premiers jugemens sur un caractère et un talent mieux connus ; toutes les barrières précédentes sont tombées. La préface des Études historiques fait foi de cette communication plus expansive ; mais surtout, le monument dernier qu’il prépare contiendra, de Mme de Staël, un portrait et un jugement, le plus grandiose, le plus enviable assurément, le plus définitif pour une telle mémoire. Il y a du moins, entre tant de tristesses, cela de bon à survivre à ses contemporains illustres, illustre soi-même, et quand on a la piété de la gloire, c’est de pouvoir à loisir couronner leur image, réparer leur statue, solenniser leur tombe. Les éloges sentis de M. Châteaubriand sur Mme de Staël, son pélerinage à Coppet en 1831 avec l’amie attentive qui forme le lien sacré entre tous deux, avec celle qu’il n’accompagna pourtant pas jusqu’au fond de l’asile funèbre, et qui, par pudeur de deuil, voulut seule pénétrer dans le bois des tombeaux ; tout cela, au bord de ce lac de Genève, si proche des lieux célébrés par le peintre de Julie, ce seront, aux yeux de la postérité, de mémorables et touchantes funérailles. Notons bien, à l’honneur de notre siècle, ces pieuses alliances des génies rivaux, Goethe et Schiller, Scott et Byron, Châteaubriand et Mme de Staël. Voltaire insultait Jean-Jacques, et c’est la voix seule du genre humain (pour parler comme Chénier) qui les réconcilie. Racine et Molière, qui ne s’aimaient pas, se turent l’un sur l’autre, et on leur sait gré de cette convenance morale. Il y a certes une grandeur poétique de plus dans ce que nous voyons.


Sainte-Beuve.


(La suite au prochain numéro.)