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tion originale, éclatante, extraordinaire. M. de Châteaubriand, dans un article du Mercure, sur M. de Bonald (décembre 1802), releva en quelques lignes cet éloge de Mme de Staël ; mais à travers les hommages réciproques, c’est toujours la même position d’adversaires. Ne se figure-t-on pas déjà ces deux beaux noms, comme deux cimes à des rivages opposés, deux hauteurs un moment menaçantes, sous lesquelles s’attaquaient et se combattaient des groupes ennemis, mais qui de loin, à notre point de vue de postérité, se rapprochent, se joignent presque, et deviennent la double colonne triomphale à l’entrée du siècle ? Nous tous, générations arrivant depuis les Martyrs et depuis Corinne, nous sommes devant ces deux gloires inséparables, sous le sentiment filial dont M. de Lamartine s’est fait le généreux interprète dans ses Destinées de la Poésie.

S’il y a, comme fonds naturel et comme manière d’artiste, de grandes différences entre M. de Châteaubriand et Mme de Staël, on est frappé d’ailleurs par les ressemblances bien essentielles qu’ils présentent : tous deux aimant la liberté, impatiens de la même tyrannie, capables de sentir la grandeur des destinées populaires, sans abjurer les souvenirs et les penchans aristocratiques ; tous deux travaillant au retour du sentiment religieux, dans des voies plutôt différentes que contraires. À la Restauration, il se revirent ; Mme de Duras fut une sorte de lien, et c’est à M. de Châteaubriand que, dans sa dernière maladie, Mme de Staël a pu dire ces belles paroles : « J’ai toujours été la même, vive et triste ; j’ai aimé Dieu, mon père et la liberté. » Pourtant la politique alors traça une séparation entre eux, comme autrefois la philosophie. Dans ses Considérations sur la Révolution française, qui parurent peu après la mort de l’auteur, M. de Châteaubriand n’est pas nommé ; et dans un morceau de lui, inséré au Conservateur (1819), on retrouve un de ces hommages à Mme de Staël, toujours respectueux et décens, mais d’une admiration tempérée de réserves, un hommage enfin de parfait et courtois adversaire. Ce trop long désaccord a cessé. Une femme qui, par une singulière rencontre, avait vu pour la première fois M. de Châteaubriand chez Mme de Staël en 1801, qui l’avait revu pour la seconde fois chez la même en 1814, est devenue le nœud sympathique de l’une à l’autre. Dans son noble attachement