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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

Vous paraissez n’être pas heureuse ; vous vous plaignez souvent dans votre ouvrage de manquer de cœurs qui vous entendent. C’est qu’il y a certaines ames qui cherchent en vain dans la nature des ames auxquelles elles sont faites pour s’unir… Mais comment la philosophie remplira-t-elle le vide de vos jours ? Comble-t-on le désert avec le désert ? etc., etc. »

Mme de Staël, accessible et empressée à toutes les admirations, désira connaître l’auteur de la lettre du Mercure ; ce premier exploit de polémique devint ainsi l’origine d’une liaison entre les deux génies dont nous sommes habitués à unir les noms et la gloire. Cette liaison ne fut pourtant pas ce qu’on imaginerait volontiers ; leurs camps, à tous deux, restèrent limités et distincts. Leurs amis moins précautionnés se poussaient mainte fois à la traverse. Raillant Delphine du même ton acéré que Chénier retournait ensuite contre Atala, M. Michaud écrivait : « Vous avez voulu faire la contre-partie du Génie du Christianisme ; vous avez donné les Beautés poétiques et morales de la Philosophie ; vous avez complètement battu ce pauvre Châteaubriand, et j’espère qu’il se tiendra pour mort. » Adorateur du génie grec, du beau homérique et sophocléen, chantre de Cymodocée, d’Eudore et des pompes lumineuses du catholicisme, M. de Châteaubriand, artiste déjà achevé, n’était pas gagné aisément à cette teinte parfois nuageuse des héros de Mme de Staël, au vague de certains contours, à cette prédominance de la pensée et de l’intention sur la forme, à cette multitude d’idées spirituelles, hâtives et entrecroisées comme dans la conversation ; il admirait moins alors Mme de Staël qu’elle ne l’admirait lui-même. D’une autre part, soit hasard et oubli involontaire, soit gêne de parler à ce sujet convenablement, elle s’exprime bien rarement sur lui dans ses nombreux ouvrages. Lorsque les soirs, à Coppet, on lisait par comparaison Paul et Virginie et l’épisode de Velléda, Mme de Staël mettait avec transport la fougueuse et puissante beauté de la prêtresse, bien au-dessus des douceurs, trop bucoliques pour elle, de l’autre chef-d’œuvre ; le célèbre article, qui fit supprimer le Mercure en 1807, lui arrachait aussi des cris d’admiration. Mais on retrouve à peine en ses écrits quelque témoignage. Dans la préface de Delphine, il est dit un mot du Génie du Christianisme, comme d’un ouvrage dont ses adversaires mêmes doivent admirer l’imagina-