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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

Littérature, c’est qu’à moi-même Mme de Staël m’est apparue pour la première fois par là ; c’est que je les ai lus, surtout l’Influence, non pas à vingt-cinq ans comme elle le veut, mais plus tôt, à cet âge où tout est simple, rigoureux, en politique, en amour, et plein de solennelles résolutions ; où, en se croyant le plus infortuné des êtres, on rêve ardemment le progrès et la félicité du monde ; à cet âge, de plus en plus regretté, où l’excès des espérances confuses, des passions troublantes, se dissimule sous un stoïcisme qu’on croit éternel, et où l’on renonçait si aisément à tout, parce qu’on était à la veille de tout sentir. Même aujourd’hui, ces deux ouvrages de Mme de Staël, l’Influence des Passions et le livre de la Littérature, me semblent les illustres produits tout à fait particuliers à une époque qui eut sa gloire, à l’époque directoriale ou, pour mieux dire, de la Constitution de l’an iii. Ils n’eussent pu être écrits auparavant ; ils n’eussent pu l’être ensuite sous l’Empire. Ils me représentent, sous un air de jeunesse, la poésie et la philosophie exaltées, enthousiastes et pures de cette période républicaine, le pendant en littérature d’une marche de Moreau sur le Rhin ou de quelque premier combat d’Italie. M. de Châteaubriand et tout le mouvement réactionnaire de 1800 ne s’étaient pas produits encore. Mme de Staël seule propageait le sentiment et le spiritualisme poétiques, mais au centre de la philosophie et du siècle.

Le livre de l’Influence des Passions obtint un favorable accueil : le Mercure, non encore restauré comme il le fut en 1800, en donna des extraits accompagnés de critiques bienveillantes. Mme de Staël était revenue à Paris dès l’année 95, et elle ne cessa, jusqu’à son exil, d’y faire de fréquens et longs séjours. Nous n’avons pas à nous occuper en détail de sa conduite politique, dont elle a tracé la ligne principale dans ses Considérations sur la Révolution française, et il serait peu sûr de vouloir suppléer avec des particularités de source équivoque à ce qu’elle n’a pas dit. Mais dans un morceau très distingué et très spirituel sur Benjamin Constant, que cette Revue même a publié[1], il a été donné, de Mme de Staël et de ses relations d’alors, une idée inexacte, assez conforme du reste à un préjugé répandu, et que pour ces motifs nous ne pouvons nous

  1. Revue des deux Mondes, 1833. Ier volume, p. 185.