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saurait qualifier le timbre et l’accent. Nulle part aussi visiblement que dans ces admirables pages, Mme de Staël ne s’est montrée ce qu’elle restera toute sa vie, un génie cordial et bon. Il y avait dans ses écrits, dans sa conversation, dans toute sa personne, une émotion salutaire, améliorante, qui se communiquait à ceux qui l’entendaient, qui se retrouve et survit pour ceux qui la lisent. Bien différente des génies altiers d’homme ou de femme, des Lara, des Lélia (je parle de Lélia seulement, et non pas de vous, ô Geneviève ! ô Lavinia !), rien chez elle d’arrogant ni d’ironique contre la pauvre humanité. Malgré son goût pour les types incomparables qui font saillie dans ses romans, elle croyait à l’égalité de la famille humaine ; Mme Necker de Saussure nous apprend que, même à l’égard des facultés intellectuelles, elle estimait que c’était assez peu de chose au fond, une assez petite disproportion originelle, qui constituait la supériorité des talens éminens sur la moyenne des hommes. Mais, qu’il y ait théorie ou non chez elle, son mouvement naturel n’attend pas ; sa voix qui s’empresse fait d’abord appel à toutes les bonnes puissances, les réchauffe en nous et les vivifie. L’effet de sa parole est toujours sociable, conciliant, allant à l’amour de nos semblables. Elle a exprimé dans ce livre de l’Influence des Passions bien des idées qui sont aussi dans les Considérations sur la Révolution française, de M. de Maistre, écrites et publiées précisément à la même date. Mais quelle différence de ton ! Le patricien méprisant, l’orthodoxe paradoxal et dur, se plaît à montrer aux contemporains et aux victimes leurs neveux qui danseront sur leurs tombes. Cette cervelle puissante juge les désastres à froid et avec une offensante rigidité. Mme de Staël, à travers quelques vapeurs d’illusions, pénètre souvent les choses aussi avant que M. de Maistre, mais comme un génie ému et qui en fait partie. Je n’analyserai pas le livre : qu’on relise seulement le chapitre de l’Amour, c’est l’histoire intime, à demi palpitante et voilée, de tout ce cœur de trente ans, telle qu’il nous suffit de la savoir. On y entend autour de soi mille échos de pensées qu’on n’oubliera plus ; un mot, entre autres, m’est resté, que je redis souvent : La vie de l’ame est plus active que sur le trône des Césars. Si l’on me voit tant m’arrêter à ces plus anciens écrits de Mme de Staël, au livre de l’influence des Passions, et bientôt à celui de la