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de son inspiration. C’est merveille comme toute œuvre musicale s’amoindrit en séjournant à l’Opéra. Il faut que les murs de ce théâtre sécrètent quelque matière dissolvante, qui agit sur la musique comme la rouille sur le fer. D’une partition énorme, il reste, au bout d’un an, tout au plus un finale. La musique se fond au lustre de l’Opéra, comme la neige au soleil ; pour peu que cela continue, on finira par ne plus garder d’un opéra que l’ouverture, et le Freyschütz de Weber se trouvera dès-lors faire partie du répertoire, car on exécute l’ouverture de Freyschütz à l’Opéra, dans toutes les grandes solennités musicales. Il faut espérer que de tels scandales ne seront plus donnés. Les hommes qui seront appelés à donner une direction à notre première scène lyrique, n’auront garde de s’engager dans une route qui les conduirait infailliblement à leur ruine. Le temps de la musique est venu. Les représentations de la Juive ont démontré que dans un opéra des décors et des costumes ne peuvent suffire. Dans la musique, je le répète, est l’avenir et la fortune de l’Opéra. Des tentatives nouvelles seront faites, et peut-être un nouveau chef-d’œuvre est près d’éclore en cette tête féconde qui vient de se reposer si long-temps. En ce point une administration nouvelle aurait déjà bien mérité de l’art. Quelles que soient les querelles que lui font certaines écoles rivales, Rossini n’en reste pas moins le musicien de ce temps ; le silence dans lequel il s’est tenu sera la transition de sa gloire passée à sa gloire à venir. Tout espoir est dans l’auteur de Sémiramis et de Guillaume Tell, et maintenant que la musique est en péril, qu’il faut relever l’art qui tombe, et le mettre en honneur, c’est encore lui qui doit être appelé.

En vérité, tous les théâtres de musique semblent prendre aujourd’hui à tâche de dévier de leur route naturelle. L’Opéra français, exclusivement réservé aux gloires de l’Europe, ouvre ses portes à des hommes qui n’ont pas encore commencé de bien faire, et l’Opéra-Comique, au lieu d’appeler de jeunes compositeurs et de leur prêter appui, s’amuse à reprendre les vieilles pièces de son répertoire. L’Opéra-Comique s’occupe en ce moment de la reprise du Diable à Quatre. Le vieillard a brossé son habit vert pomme, poudré sa perruque à neuf, et se tient assis sous les bosquets de roses, fredonnant d’une voix débile les petits airs de sa jeunesse. L’Opéra-Comique va reprendre le Diable à Quatre, gracieuse partition du dernier siècle, où doit briller le talent de l’une de ses jeunes actrices qui joue et ne chante pas, car il faut que vous sachiez qu’à ce théâtre il y en a qui jouent, d’autres qui chantent, beaucoup qui ne jouent ni ne chantent. Jouer et chanter à la fois leur paraît à tous un idéal qu’ils n’ont pas la prétention d’atteindre de leur vie. Les comédiens de ce lien sont pareils à ces hommes du concert russe qui donnent chacun une