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REVUE. — CHRONIQUE.

fasse adopter au public ce qu’elle trouve beau, et sa conviction la soutient dans son entreprise. Ce n’est plus de roulades qu’il s’agit à cette heure ; elle est responsable en même temps de la musique et de l’exécution, et le public juge à la fois son goût et son talent. Mlle Falcon s’est tirée à merveille de cette double épreuve. La musique et la cantatrice étaient dignes l’une de l’autre. Comme Rubini avait déjà fait pour Adélaïde, Nourrit pour les ballades de Schubert, elle vient d’attacher son nom à cette page immortelle du grand maître. Il est beau de contribuer pour sa part à la gloire de Beethoven, et la satisfaction qui naît d’une telle pensée vaut bien celle que donne un bouquet de camélia qui tombe en s’effeuillant à vos pieds.

L’Opéra n’a pas voulu rester en arrière du Théâtre-Italien et du Conservatoire, et s’est mis en tête de terminer par une éclatante reprise la glorieuse saison musicale qui vient de s’écouler. Vous savez qu’entre tous les chefs-d’œuvre de Rossini, il en est un qui a nom Moïse, magnifique partition que l’Italie admire, et que sans doute le maître ne trouvait pas assez belle pour nous, puisqu’il l’a dotée, en nous l’apportant, d’un des plus beaux finales qu’il ait peut-être jamais écrits ; vous savez aussi que depuis quatre ans, cette partition a disparu du répertoire, et que la direction, sans doute par reconnaissance pour le génie du plus grand musicien de ce temps, et pur amour de l’art, la laissait reposer dans la bibliothèque du théâtre, ensevelie sous la même poussière que la Vestale et le Siége de Corinthe. Eh bien ! chose étrange ! c’est sur elle que le choix est tombé. Mais comme il faut bien se garder de donner au public de trop violentes émotions, et d’abuser des effets de la musique ; comme de toute grande chose, il faut être avare ; il a été décrété que nous n’entendrions qu’un acte de Moïse, et que cet acte serait presque tout entier occupé par la danse des deux sœurs Elssler. Et cela n’a rien qui nous étonne : une pareille musique a besoin de secours étrangers ; on n’écoute Rossini au Théâtre-Italien que parce qu’il est chanté par Lablache et Tamburini ! Qui donc le supporterait à l’Opéra français, si Mlle Elssler ne venait à son aide ? Grace à ces ridicules mutilations, la partition française de Moïse se trouve être moins complète que celle qu’on exécute en Italie, et pourtant on sait avec quel soin et quel amour Rossini l’avait enrichie. — On écoute cette musique imposante et sévère ; ces chants inaccoutumés vous ravissent ; on attend avec impatience la conclusion d’une œuvre si noblement commencée, et tout à coup voilà que le rideau tombe, et tout est dit. Cela dure à peu près aussi long-temps qu’un acte du Philtre ou de la Bayadère ; et Rossini a passé deux ans de sa vie à refaire son œuvre ! En vérité, voilà du temps bien employé, et nous faisons un étrange cas