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lui-même sur les débris de sa fortune, et Laodicée vit la chute et la fin dernière d’un des Romains les plus remuans de cette époque.

Cette ville se nomme aujourd’hui Lattaquié ou Ladiquié ; on la comptait encore, dans le siècle dernier, au nombre des villes les plus florissantes de la côte de Syrie. Elle a été tant de fois bouleversée par des tremblemens de terre, qu’on n’y peut faire un pas sans rencontrer des décombres. La ville de Seleucus, assise sur un sol volcanisé, qui semble trembler sans cesse, a de la peine à se tenir debout ; sa principale occupation consiste à se relever de ses propres ruines. Le tremblement de terre de 1822 lui fut surtout funeste ; des quartiers tout entiers tombèrent, et le grand khan de Lattaquié ne put résister à la secousse. La population de la cité arabe est réduite à 6,000 habitans environ : musulmans, 5,500 ; Grecs schismatiques, 5 ou 600 ; une cinquantaine de Maronites et autant de Juifs. Les Grecs ont cinq chapelles ; la petite église du couvent de Terre-Sainte sert de sanctuaire aux familles catholiques ; un seul religieux habite le couvent latin. Les musulmans de Lattaquié ne sont pas d’humeur facile et tolérante ; leur piété fanatique leur donne des traits de ressemblance avec les musulmans de Damas et de Tripoli. Non contens des onze mosquées qu’ils avaient déjà, ils viennent d’en bâtir une douzième en l’honneur d’un cheik Mougrabbin, mort de la peste depuis quatre ans, et placé par eux au rang des saints de l’islamisme. La mosquée du cheik Mougrabbin s’élève sur une hauteur où fut le château de Laodicée ; le luxe et l’élégance de l’édifice, les ornemens dont on l’entoure, annoncent bien vite que c’est la dévotion d’un peuple crédule qui en fait les frais. Les musulmans de cette ville implorent avec autant de confiance le cheik Mougrabbin que le prophète de Médine ; ils ont voué un culte particulier à sa mémoire, et comptent beaucoup sur sa protection souveraine pour passer au dernier jour sur le pont de fil jeté à travers les flammes de la géhenne.

Voici en quelques mots la biographie du cheik Mougrabbin. Mahomet (c’est le nom du santon) naquit en Barbarie en 1773 ; il choisit la Syrie comme le théâtre le plus digne de ses vertus et de ses miracles, et alla d’abord dans la cité d’Alep. Ce n’est pas là que Mahomet devait avoir le plus de succès : ayant un jour prêché