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âme n’éprouve ni confiance puérile, ni vaine inquiétude : c’est l’équilibre de sentimens et d’impressions nécessaire à l’âge viril ; quand l’homme accomplit sa plus large part des devoirs matériels de son espèce. Pour compléter ce tableau d’une même situation agissant diversement sur toutes les nuances d’âge et de sexe, Robert a représenté au premier plan ; entre les groupes de femmes et de pêcheurs, un adolescent roulant des filets avec un sérieux presque important : ce n’est plus la gloriole de l’enfance qui se croit utile à quelque chose ; ce n’est pas encore la confiance de l’homme fait, certain qu’on a besoin de lui. Au fond du tableau d’autres pêcheurs dérivent déjà vers la mer : leurs femmes les attendent au passage, sur le bord du canal, et montrent leurs enfans en signe d’adieu.

Le jugement public décidera si, dans cet ouvrage ; le peintre de l’Adriatique a surpassé celui des Marais Pontins ; ce que nous pouvons affirmer, sans crainte d’être démenti par personne, c’est que l’exécution de Léopold Robert s’était remarquablement améliorée sous le rapport de la force et de l’habileté. L’influence des chefs-d’œuvre de l’école vénitienne sur la manière du peintre est évidente ; le groupe des femmes semble une inspiration directe de Jean Bellin, mais un Jean Bellin suave et élégant comme Raphaël.

Cet irrésistible besoin qui pousse les artistes tels que Léopold Robert vers les lieux où les convenances sociales n’ont pas encore dénaturé le type de l’espèce humaine, ne pourra bientôt plus être satisfait aussi près de nous. Chaque année, chaque jour efface un trait du modèle, pour y substituer une copie de nos usages, un reflet de nos idées. Le monde dans lequel l’intelligence humaine a reçu son plus beau développement, cette ceinture riante des contrées dont la Méditerranée est le centre, avait, il est vrai, sous mille invasions, vu disparaître presque toutes les traces de la civilisation antique ; mais l’heureux tempérament des causes naturelles qui avait donné à cette civilisation son caractère artiste, ayant conservé son action indépendante des fureurs de l’homme, chaque pli de vallée dans lequel un mur naturel protégeait la culture d’un sol fertile, était devenu comme le centre d’un monde oublié, reproduction partielle, mais exacte, du monde de l’antiquité. Ces derniers vestiges vont disparaître ; le souffle délétère de l’esprit