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DE L’ÉCOLE FRANÇAISE.

matière de paysage me semble bien nécessaire pour nous inspirer de la tolérance à l’égard des jugemens d’autrui. Une seule chose, dans ce dédale d’opinions, me semble évidente, c’est que le paysage ne tient à l’art que par l’impression que la nature inanimée produit sur notre ame, et par la vie, la passion que nous prêtons en revanche à cette nature. L’habitude que nous nous sommes faite d’écrire nos propres pensées dans tout ce qui frappe notre vue, donne une signification positive aux moindres objets. Le paysan, qui n’a jamais détourné ses yeux du sol arrosé de ses sueurs, ne sait ce que nous voulons dire quand nous lui parlons d’un paysage gai ou d’un paysage triste ; et nous, nous ne savons que répondre au peintre, quand le paysage qu’il nous offre n’exprime ni tristesse ni gaieté. Réduit à la tâche d’imitation matérielle, quand cette imitation en elle-même est quelque chose de si convenu, le métier de paysagiste est ce qu’il y a de plus puéril en ce monde ; autant vaut coller des bandes de drap sur un plan en relief, ou enfeuiller les arbres avec du papier vert. Ce travail-ci vaut l’autre.

Je n’éprouve donc aucun embarras à dire ce qu’on doit exclure et flageller. S’il fallait préciser ma pensée par des exemples, les noms arriveraient sous ma plume à la douzaine ; mais hors de là, je me défie de ce que mes opinions ont d’exclusif. Mon incertitude redouble lorsque, comparant ma manière de voir à celle d’hommes qui me paraissent réunir de la sincérité à une heureuse organisation, je m’aperçois que la conviction de ces hommes est toute différente de la mienne. Ainsi, j’ai été le premier à recommander chaudement la manière large, grave et abstractive de MM. Aligny, Édouard Bertin et Corot, et je trouve en face de moi des opinions tout aussi ardentes que les miennes, et qui se prononcent en faveur de M. Paul Huet. Si je condamnais le paysage de M. Paul Huet sans réflexion et par la seule raison qu’il m’affecte moins directement, j’agirais à l’étourdie, et je serais probablement très injuste. Il est évident que M. Paul Huet pèche par le métier, qu’il éprouve un certain embarras à bien exprimer sa pensée ; mais quand j’ai lancé, il y a quatre ans, un ballon d’essai en faveur de M. Aligny, la pratique de ce peintre était encore très défectueuse à certains égards. Entre les ormes échevelés dans lesquels M. Paul Huet se complaît, et le feuillé de bronze des chênes