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cle que je voudrais taire, et qui me paraît insurmontable, celui-ci. Sachez donc que le roi actuel, étant duc de Chartres, vint un jour, avec son régiment, dans une ville du nord, où il se montra dès son arrivée au club des jacobins, et que mon père, qui commandait dans la ville, le fit mettre aux arrêts pour avoir ainsi manqué à la discipline. Jugez si le roi peut avoir oublié ce fait, et s’il souffrirait que mon nom figurât sur la liste de ses ministres !

Ainsi facétieusement repoussé par M. de Caux, le conseil doctrinaire a songé au général Schneider, car pour le général Guilleminot, il ne consentirait à entrer dans le cabinet qu’avec un caractère politique, et il s’est lié à la question de l’amnistie. Or, ce choix offre encore une grande difficulté. Sans doute le général Schneider n’est pas un homme politique, il ne résistera pas aux propositions qui lui seront faites ; mais il n’a pas une réputation assez grande pour imprimer à l’armée le mouvement d’obéissance nécessaire dans les circonstances sérieuses où l’on se trouve : d’ailleurs les maréchaux seraient blessés de voir un général très jeune dans son grade, leur commander comme ministre. La difficulté devient plus grave qu’on ne croit sous ce rapport, car la plus grande indiscipline règne dans tous les corps. Plus de cinq cents officiers sont à Paris sans permission, le ministre serait obligé de prendre une mesure décisive, et d’en faire mettre plusieurs à l’Abbaye. Le général Schneider est un homme de bureaux, mais il n’est que cela ; la main de fer du maréchal Soult imprimait seule assez de respect à l’armée pour que les choses allassent de leur seule impulsion : mais recourir à ce maréchal, c’est chose actuellement impossible ; ses engagemens sont pris avec la gauche ; il s’est complètement séparé de la pensée du ministère actuel.

Comment fera donc ce ministère si le refus du maréchal Maison se confirme ? Prolongera-t-il l’intérim ? C’est ce qu’il y a de plus commode, quoique un intérim soit une situation précaire, et que M. de Rigny, qui rêve une ambassade, ne veuille rester là que le temps nécessaire pour se l’assurer bonne et lucrative. Quant à l’esprit du cabinet, il est tout entier résumé par M. Guizot et M. de Broglie ; vainement M. Thiers cherche-t-il des auxiliaires dans l’amiral Duperré et dans M. Humann contre l’influence de MM. de Broglie, Guizot et Duchâtel ; ceux-ci ne le servent qu’à demi. M. Thiers est jeté dans un rang subalterne ; il n’a d’autre appui que le roi, qui se sert de lui comme d’un instrument docile pour lutter contre les doctrinaires. Le roi est tellement préoccupé de cette domination, qu’il avait songé un moment à supprimer le ministère du commerce ; le roi disait : « Je n’aurais besoin alors que d’avoir trois ministres avec moi pour être le maître des résolutions de mon cabinet. »