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REVUE. — CHRONIQUE.

mieux en pratique. On peut dire que c’est par ses mains que le ministère, poussé trois fois par celles de M. Thiers sur le penchant de sa ruine, a été retenu et étayé ; trois fois l’activité et l’esprit de conduite de M. Guizot ont reformé la phalange ministérielle qui se dispersait et se jetait dans les deux côtés de l’opposition ; et dans cette dernière crise, il a fait plus. Il a non-seulement créé une tête à ce ministère qui s’était laissé si lourdement décapiter ; il a rajeuni ce corps usé et vacillant, il lui a donné un air de verdeur et de sève, qui trompe au premier aspect, et qui ferait prendre pour un être vigoureux et capable de quelque énergie, ce sépulcre blanchi, que sa propre corruption a dissout de lui-même, et fera bientôt définitivement tomber en poussière. Mais le miracle n’a pas moins été fait, les morts ont marché, et ils se promènent à cette heure, au milieu de nous, avec la prétention d’être vivans.

Depuis cette résurrection galvanique, on a peine à reconnaître les doctrinaires, tant le nouveau masque qu’ils ont pris diffère de celui qu’ils ont quitté. Leurs manières hautaines ont fait place au ton le plus conciliant et le plus doux, et ce n’est que par oubli et par écarts qu’ils reprennent de temps en temps leur morgue. On les entend se plaindre avec douceur d’avoir été méconnus ; peut-être, disent-ils, qu’ils ont, en effet, trop vécu entre eux, dans leur cercle intérieur, où une sympathique estime les retenait ; mais qu’à cela ne tienne, ils sont tous prêts à élargir le cercle, à faire cesser les exclusions dont on s’est plaint avec tant d’amertume. Désormais, l’esprit, l’intelligence et le savoir (disent-ils toujours), ne seront plus les conditions indispensables pour être admis au milieu d’eux, ils auront les bras tendus vers tout le monde, comme le Christ de la compagnie de Jésus ; viendra qui voudra, les portes du collége doctrinaire seront ouvertes ; les pauvres d’esprit et les infirmes seront aussi appelés, les doctrinaires n’excluent personne : que chacun se présente, nul ne sera repoussé, et M. Fulchiron lui-même est sûr d’un bon accueil.

M. Guizot est vraiment un homme unique. Voilà ce qu’il a fait. C’est à lui que sont dues ces merveilles. Il a commandé à toute sa jeune cohorte d’être douce, polie, conciliante, affable, et elle a obéi. Les caractères les moins souples ont fléchi à sa voix. M. de Broglie, cet esprit rude et cassant ; ce dogme revêtu d’os et d’un peu de chair, qui se présentait si carrément, et dont les pensées se formulaient en apophtègmes inflexibles ; cet argument intraitable est devenu un esprit qui discute et qui répond, qui cause et qui écoute ; le verbe s’est fait homme, et la transformation a paru si agréable au roi, qu’il en oublie le maréchal Soult et M. Sébastiani, M. Thiers et M. de Montalivet. Quelques paroles de M. Guizot ont fait de M. de Bro-