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REVUE LITTÉRAIRE DE L’ALLEMAGNE.

province de Brandebourg, éprouva de la manière la plus cruelle les effets de la paternelle bonté de cette caisse, dont nous ne savons plus le nom. Il publia, il y a quelque six ou sept ans, des lettres fort curieuses qui causèrent grand déplaisir au gouvernement prussien. Exagération possible à part, ce fut une récrimination très divertissante et qui méritait un retentissement plus étendu. Le prince de Puckler-Muskau court de très grands risques de la part de la Prusse, car il produit en Lusace de l’avoine et des pommes de terre qu’il convertit en eau-de-vie. Il a donc pris le parti de ménager le gouvernement de son royal suzerain, et même de l’accabler d’éloges qu’on pourrait soupçonner de perfidie, parti d’autant plus sage, qu’il reste toujours assez de gens pour harceler la Prusse. Pourtant, propriétaire et rieur, il ne peut renoncer entièrement à sa rancune, et charge assez souvent les interlocuteurs de ses contes d’exposer en leur nom ses propres griefs et ses doléances, qu’il a grand soin de réfuter, mais le plus faiblement du monde. Sans avoir l’air d’y toucher, s’il voit, pendant son voyage, un beau château, une terre vraiment royale, où les princes prussiens furent reçus jadis avec magnificence, où l’on donna en leur honneur un tournoi, où la reine de Prusse remit le prix au vainqueur, il observe que ce beau château tombe dans le délabrement, que les mauvaises herbes couvrent les allées du parc, car toute la terre est au pouvoir du terrible séquestre, et le pauvre vieux gardien, seul habitant de cette ruine, ne reçoit pour vivre que des demi-gages, au nom du séquestre conservateur. S’il rencontre une route plantée de peupliers, il ne peut concevoir la prédilection qu’on a dans toute la monarchie pour cet arbre qu’il déteste du fond de l’âme. Parle-t-il d’un officier prussien du pays de Clèves, il l’a connu autrefois avec la décoration de la Légion-d’Honneur qu’on l’a forcé de remplacer par des croix prussiennes. Il fait quelque part le portrait d’un référendaire prussien qui vient continuer une enquête chez un propriétaire en procès avec l’administration prussienne, cela va sans dire. Celui-ci ne manque pas d’héberger convenablement son juge, et de le faire reconduire avec ses propres chevaux, ce qui n’empêchera pas l’administrateur de compter sur le mémoire de frais, à la charge du plaideur, la dépense de deux journées d’auberge et d’une chaise de poste à trois chevaux. Le prince auteur s’oublie même une fois jusqu’à dire sans détour : « La bierre de Stettin, tout excellente qu’elle puisse être, ne vaut pas le vin de Hongrie, et puis l’ivresse qu’elle procure n’est pas aussi gaie ; mais soyez juste, la Prusse ne peut pas tout avoir. Si l’on ajoutait encore aux éminens avantages qu’elle possède actuellement, par exemple, au lieu de sable, de beaux rochers ; au lieu de pinastres, des pins parasols ; au lieu de pommes de pin, des oranges ; au lieu de bierre, du