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REVUE DES DEUX MONDES.

xv.

L’abreuvoir est public, et qui veut vient y boire.
J’ai vu les paysans, fils de la Forêt Noire,
Leurs bâtons à la main, entrer dans ce réduit ;
Je les ai vus penchés sur la bille d’ivoire,
Ayant à travers champs couru toute la nuit.
Fuyards désespérés de quelque honnête lit ;

xvi.

Je les ai vus debout, sous la lampe enfumée,
Avec leur veste rouge et leurs souliers boueux,
Tournant leurs grands chapeaux entre leurs doigts calleux,
Poser sous les rateaux la sueur d’une année,
Et là, muets d’horreur devant la Destinée,
Suivre des yeux leur pain qui courait devant eux !

xvii.

Dirai-je qu’ils perdaient ? Hélas ! ce n’était guères !
C’était bien vite fait de leur vider les mains.
Ils regardaient alors toutes ces étrangères,
Cet or, ces voluptés, toutes ces passagères,
Tout ce monde enchanté de la saison des bains,
Qui s’en va sans poser le pied sur les chemins.

xviii.

Ils couraient, ils partaient, tout ivres de lumière,
Et la nuit sur leurs yeux posait son noir bandeau.
Ces mains vides, ces mains qui labourent la terre,
Il fallait les étendre, en rentrant au hameau,
Pour trouver à tâtons les murs de la chaumière,
L’aïeule au coin du feu, les enfans au berceau !