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REVUE. — CHRONIQUE.

autre combinaison se présentera, il se hâtera de l’adopter. Indépendamment du roi, le ministère doctrinaire a encore contre lui quelques salons qui exercent une puissance sur l’opinion aristocratique. M. Pasquier est complètement opposé à M. Guizot. Les doctrinaires l’accusent, ainsi que M. Decazes, d’avoir voulu l’amnistie, parce qu’ils n’ont pas la force suffisante pour suivre le procès de la conspiration. De leur côté, M. Decazes et M. Pasquier accusent les doctrinaires de pousser le pouvoir dans de fausses voies et de le perdre. M. Pasquier a eu à ce sujet une explication très vive, en plein salon, avec M. Guizot. « Comment est-il possible, M. Guizot, a dit M. Pasquier devant trente ou quarante personnes, que vous ayez pu dire que la garde nationale était opposée à l’amnistie ? qu’en savez-vous ? qui vous l’a dit ? Et quand cela serait vrai, comment un homme politique comme vous peut-il faire entrer dans la balance des pouvoirs un corps armé délibérant ? » De son côté, M. Molé, qui a des griefs si profonds contre les doctrinaires, ne ménagera pas cette administration.

Et la chambre ? Évidemment la combinaison ministérielle lui déplaît ; la majorité a pour les doctrinaires au moins autant de répugnance que le roi lui-même. Mais qu’est-ce que la chambre ? a-t-elle une résolution assez puissante, une conviction assez profonde de sa situation ? Ceux qui connaissent la majorité savent qu’elle est incapable de quelques-unes de ces mesures qui en finissent avec un ministère ; elle a de petites haines, mais elle n’a point de courage. Elle aura peur de renverser le ministère, de renouveler l’état d’anarchie dans lequel on s’est trouvé pendant vingt et un jours ; elle éclatera en petites choses, elle éparpillera ses dépits, elle se dessinera dans des votes sans consistance, mais elle n’osera tenter aucune de ces mesures décisives que prépare en ce moment l’opposition anglaise ; de tels actes ne sont pas dans son tempérament. Oserait-elle jamais refuser les vingt-cinq millions de la créance américaine ? votera-t-elle une adresse contre le ministère ? Tout au plus refusera-t-elle une fraction des fonds secrets demandés par le ministre de l’intérieur, qui ne se laisse pas intimider par de semblables bagatelles,

Jeudi soir, jour de réception chez le président de la chambre, tous les ministres se sont montrés en masse au palais Bourbon ; ils se suivaient l’un l’autre comme des employés qui viennent féliciter leur chef au renouvellement de l’année ; M. de Broglie était en tête et M. Thiers en queue, à sa place. Singulier spectacle ! M. Dupin les reçut fort dignement, mais avec un certain sourire, dont M. Thiers lui-même se trouva déconcerté. La fête a été plus complète dans la réunion Fulchiron, car elle saluait ses ministres : c’est ce qui arrivait au temps de la réunion Piet, quand MM. Corbière et