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le plus ardent, et peut-être le plus habile. Cette main qu’ils ont voulu garrotter, les renversera au moment où ils se croiront sûrs de leur succès.

Il ne faut pas trop s’apitoyer cependant sur la situation du prince, ni exagérer la victoire de M. de Broglie et des doctrinaires. Il est bon qu’on sache que la porte de la salle du conseil ne se serait jamais ouverte devant M. de Broglie, s’il avait persisté à s’y présenter avec les résistances superbes et les idées d’indépendance qu’il avait autrefois ; c’est ce que M. Guizot a fait comprendre à son noble ami, avant que de l’amener à la conférence royale. La séance du salon de Mme de Broglie, longue et orageuse, profita au nouveau président du conseil ; il sentit enfin que, pour obtenir une partie du pouvoir, il fallait se résoudre à certains sacrifices, et quand il parut devant le roi, ce ne fut pas comme un arrogant maire du palais, ainsi qu’on voudrait le faire croire, mais comme un écolier repentant, soumis et décidé à mériter sa grace. M. de Broglie, nous pouvons l’affirmer, s’est montré en cette circonstance aussi souple que l’eussent été à sa place M. de Rigny et M. Sébastiani ; il a humblement baissé la tête sous cette nécessité dont il démontrait un jour si bien l’empire à la tribune, et on peut dire, sans crainte d’être démenti par lui ni par son heureux maître : Rien n’est changé dans le ministère, il n’y a qu’un complaisant de plus.

On voit que toute l’habileté dont se targuent, de leur côté, les doctrinaires, ne les a pas non plus menés bien loin. En Angleterre, M. Stanley, qui se trouve compromis dans la question irlandaise, a le bon esprit de retarder son entrée au ministère jusqu’à la solution de cette question. Ici, M. de Broglie se présente devant la chambre pour affronter une discussion qui a failli terminer sa carrière politique, et qui a certainement terni l’éclat de son nom. La faiblesse de cette position l’oblige à accepter des conditions de gouvernement qu’il trouvait insupportables jusqu’à ce jour, et à donner un démenti à toutes les paroles, à toutes les professions de foi qu’il a lancées du haut de la tribune et dans ses écrits. Le nom de M. de Broglie, inscrit à la suite des présidens postiches du conseil, n’est pas fait pour rendre à la coterie doctrinaire l’influence qu’elle espérait regagner en plaçant son chef au timon de l’état.

Maintenant ce ministère restera-t-il ? pourra-t-il vaincre les difficultés ? n’est-il pas encore une transaction provisoire pour arriver à un autre ordre de choses ? Plusieurs obstacles s’opposent à la durée de cette administration. D’abord l’aversion personnelle du roi pour le duc de Broglie : le château subit les doctrinaires ; il a fallu en finir, et voilà pourquoi le pouvoir leur a été donné, mais, nous l’avons dit, le roi cherchera toujours, sous main, à s’en débarrasser ; il ne leur prêtera point appui, et le jour où une