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HOMMES POLITIQUES DE LA BELGIQUE.

fort de cent bras qui cherchaient à la tirer en avant. Peu habitué à ces sortes d’ovations, le régent eut peur, et il s’échappa en ouvrant brusquement la portière ; puis il courut à toutes jambes à travers le parc, suivi d’une foule immense qui ne voulait pas en être pour ses frais d’enthousiasme. Harassé et haletant, il arriva enfin à son hôtel de la rue Ducale dont il ferma violemment la porte à la barbe des poursuivans.

Le régent commençait d’habitude sa journée par recevoir en robe de chambre et en bonnet de coton les députations de la garde civique et les solliciteurs recommandés. Il présidait ensuite le conseil des ministres sans changer grand’chose à son costume. Puis il donnait une heure aux soins de son empire, c’est-à-dire qu’il signait les pièces ministérielles, et le reste du jour était rempli par des audiences et des causeries. Après dîner, il allait passer une heure avec quelques amis dans une petite maison de Lacken qui avait appartenu au roi Guillaume, et il rentrait à Bruxelles pour recommencer le lendemain.

Un jour par semaine, il y avait audience publique chez le régent, et toute l’audience se passait à distribuer des pièces de 5 francs, empilées sur un bureau, aux malheureux qui venaient réclamer des secours. Ces aumônes patriotiques et les trois dîners par semaine que M. de Chokier se croyait obligé de donner pour rester fidèle à la représentation que lui commandait le budget, absorbaient à peu près les dix mille francs par mois que le souverain provisoire de la Belgique recevait comme émolumens de sa place. Ce roi d’Yvetot, avait, ainsi que celui de la chanson, sa fidèle gouvernante qui partageait avec lui les roses et les soucis de la vie, et qui prenait place au salon dans les réunions d’intimité, donnant son opinion sur les affaires de l’Europe et sur les pâtisseries de la rue de la Madeleine, avec le même aplomb et la même sagacité. Depuis l’expiration du pouvoir de M. de Chokier, Mlle Joséphine s’est mariée, et son protecteur s’est retiré seul dans son village de Gingelom, où il cultive lui-même son champ, et où il élève des moutons mérinos pour se distraire de toute préoccupation politique. Quoiqu’il n’entende pas un seul mot de flamand, les paysans ne veulent pas d’autre arbitre dans leurs querelles ; c’est toute la part de pouvoir qu’il a conservée. La voiture de louage a disparu et