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ANDRÉ.

tion, pour se retrouver dans une oasis paisible, au milieu des fleurs, et le bras enlacé l’un à l’autre. Quand la matinée était un peu avancée, André tirait de sa gibecière un pain blanc et des fruits, ou bien il allait acheter une jatte de crème dans quelque chaumière des environs, et il déjeunait sur l’herbe avec Geneviève. Cette vie pastorale établit promptement entre eux une intimité fraternelle ; et leurs plus beaux jours s’écoulèrent sans que le mot d’amour fût prononcé entre eux, et sans que Geneviève songeât que ce sentiment pouvait entrer dans son cœur avec l’amitié.

Mais les pluies du mois de mai, toujours abondantes dans ce pays-là, vinrent suspendre leurs rendez-vous innocens.

Une semaine s’écoula sans que Geneviève pût hasarder sa mince chaussure dans les prés humides. André n’y put tenir. Il arriva un matin chez elle avec ses livres. Elle voulut le renvoyer. Il pleura ; et refermant son atlas, il allait sortir : Geneviève l’arrêta, et heureuse de le consoler, heureuse en même temps de ne pas voir enlever ce cher atlas de sa chambre, elle lui donna une chaise auprès d’elle et reprit les leçons du Pré-Girault. Le jeune professeur, à mesure qu’il se voyait compris, se livrait à son exaltation naturelle et devenait éloquent.

Pendant deux mois, il vint tous les jours passer plusieurs heures avec son écolière. Elle travaillait tandis qu’il parlait, et de temps en temps, elle laissait tomber, sur la table, une tulipe ou une renoncule à demi faite, pour suivre de l’œil les démonstrations que son maître traçait sur le papier ; elle l’interrompait aussi de temps en temps pour lui demander son avis sur la découpure d’une feuille ou sur l’attitude d’une tige : mais l’intérêt qu’elle mettait à écouter les autres leçons l’emportant de beaucoup sur celui-là, elle négligea un peu son art, contenta moins ses pratiques par son exactitude, et vit le nombre des acheteuses diminuer autour de ses cartons. Elle était lancée sur une mer enchantée et ne s’apercevait pas des dangers de la route. Chaque jour, elle trouvait, dans le développement de son esprit, une jouissance enthousiaste qui transformait entièrement son caractère, et devant laquelle sa prudence timide s’était envolée, comme les terreurs de l’enfance devant la lumière de la raison. Cependant elle devait être bientôt forcée de voir les écueils au milieu desquels elle s’était engagée.