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ANDRÉ.

sont comme tachées de sang, les fleurs sont d’un rose clair, avec de grandes taches lie de vin ; on dirait de grandes guêpes avec un dard, ou de petites vilaines figures qui vous tirent la langue ; j’en ai ri tout seul à m’en tenir les côtes, en les regardant.

— Voilà une plante fort singulière, dit Geneviève en souriant.

— Je crois, dit timidement André, autant que mon peu de savoir en botanique me permet de l’affirmer, que ce sont des plantes ophrydes appelées par nos bergers herbe aux serpens.

— Ah ! pourquoi ce nom-là ? dit Geneviève, qu’est-ce que ces pauvres fleurs ont de commun avec ces vilaines bêtes ?

— Ce sont des plantes vénéneuses, répondit André, et qui ont quelque chose d’affreux en elles malgré leur beauté, ces taches de sang d’abord, et puis une odeur repoussante ; si vous les aviez vues, vous auriez trouvé quelque chose de méchant dans leur mine, car les plantes ont une physionomie comme les hommes et les animaux.

— C’est drôle, ce que tu dis là, reprit Joseph ; mais c’est parbleu vrai ! quand je te dis que ces fleurs m’ont fait l’effet de me rire au nez, et que je n’ai pas pu m’empêcher d’en faire autant.

— D’autant plus que pour les cueillir dans cet endroit, répondit André, il faut courir un certain danger ; l’étang de Château-Fondu a des bords assez perfides.

— Où prenez-vous ce Château-Fondu ? demanda Henriette.

— Auprès du château de Morand, répondit Joseph : oh ! c’est un endroit singulier et assez dangereux en effet. Figurez-vous un petit lac au milieu d’une prairie ; l’eau est presque toute cachée par les roseaux et les joncs ; cela est plein de sarcelles et de canards sauvages ; c’est pourquoi j’y vais chasser souvent.

— Quand tu dis chasser, tu veux dire braconner, interrompit André.

— Soit ; je vous disais donc qu’on ne voit presque pas où l’eau commence, tant cela est plein d’herbes. Sur les bords, il y a une espèce de gazon mou où vous croyez pouvoir marcher ; pas du tout, c’est une vase verte où vous enfoncez au moins jusqu’aux genoux, et très souvent jusque par-dessus la tête.

— La tradition du pays, reprit André, est qu’autrefois il y avait un château à la place de cet étang. Une belle nuit, le diable,