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du Renard de la mer, car c’est à ce bruit qu’ils ont conquis leur glorieuse renommée, — dit maître Cornille avec enthousiasme.

Et en vérité, il y avait quelque chose de grand et d’héroïque dans cette scène ; car c’était beau de voir cet intrépide marin presque mourant de ses blessures, au milieu des dangers d’un siége, raconter à son fils, au bruit sourd et prolongé du canon, la fin glorieuse de son père…

— Ce Michel Jacobsen, mon enfant, dit maître Cornille Bart, était surnommé le Renard de la mer, parce que pas un, mieux que lui, ne savait ruser et louvoyer pour atteindre sa proie, pour échapper à son ennemi. Jacobsen était le frère d’armes, le matelot de ton grand-père : car ils s’étaient juré et prouvé l’un à l’autre une amitié entière, une de ces fortes amitiés du vieux temps… point parleuse, mais tout agissante, comme tu vas le voir bientôt. Quant à Jacobsen, le Renard de la mer, tu as souvent regardé son portrait chez M. l’échevin Mullewært, tel qu’il fut peint par ce fameux peintre de Cologne qui passa ici, il y a bien long-temps, comme ambassadeur du roi catholique auprès de sa majesté d’outre-mer[1] ; — et par mon patron ! mon enfant, jamais tu ne verras train plus royal et plus magnifique que celui de ce seigneur peintre qui se nommait Rubens, outre ses gentilshommes et ses écuyers, outre ses pages et ses valets à livrée mi-partie rouge et brune tramée d’argent. — Il fallait voir quels fringans genêts et étalons d’Espagne et de Mauritanie ! et comme ils étaient empanachés de plumes blanches et bouillonnés de rubans couleur de feu… et puis c’étaient des litières dorées et vermillonnées à porter une archi-duchesse… que sais-je moi !… Eh bien ! mon enfant, ce peintre,

  1. Le roi d’Espagne, Philippe iv, connaissant l’amitié et les relations qui existaient entre Rubens et le duc de Buckingham, favori de Charles Ier, et voulant terminer les différends qui divisaient les deux couronnes d’Angleterre et d’Espagne, ordonna à la princesse Isabelle d’engager Rubens à venir à Madrid. Ce dernier s’y rendit en 1627. Philippe iv le reçut avec beaucoup de distinction, et en prit bientôt la plus haute opinion. Après dix-huit mois passés à la cour d’Espagne, le roi lui remit ses instructions et ses lettres de créance pour le roi d’Angleterre. Rubens arriva bientôt à Londres, et, passant par Dunkerque, il fut très-gracieusement accueilli par Charles Ier, qui voulut être peint par lui. Pendant ces séances, Rubens exposa les différentes clauses de sa mission, et