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les actes de son ministère pour reconnaissance de sa responsabilité, il ne peut et ne doit l’engager que selon sa propre opinion.

« Enfin, sur la question de savoir s’il faut au roi un premier ministre, lisez l’histoire, réfléchissez sur les plaintes des parlemens et des peuples contre les premiers ministres. Rappelez-vous de quel œil étaient vus les Concini, les Albert de Luynes, les Richelieu, les Mazarin. Mais, laissant de côté le passé, interrogez Paris. Pourquoi aime-t-on à voir le roi au sein de la capitale ? Pourquoi serait-ce un sujet de vive inquiétude et de chagrin profond de prévoir qu’il voulût bientôt fixer sa résidence à Versailles ou dans toute autre maison royale ? Ce serait par les mêmes raisons qui font voir avec joie dans la famille le père de la famille ; c’est parce que, quand il la voit, il ne l’oublie pas, il s’occupe d’elle, il étudie ses besoins, ses intérêts, ses goûts ; il recueille ses craintes, ses espérances, ses plaintes et ses joies ; il contracte l’habitude de se dévouer à son bonheur. Or, à quoi servirait cette habitude dans le roi qui nous gouverne, s’il lui était interdit de conférer avec ses ministres des intérêts publics dont il aurait été si soigneux de s’instruire ? Il verrait ses agens s’égarer, marcher en sens contraire à ses sentimens, et il n’aurait d’autre moyen de prévenir ou de redresser leurs écarts, que de les renvoyer ! Tout ce système est absurde et odieux. »

À la lecture de ces maximes, au langage, à ces formes qui lui étaient si connues, le ministère ne put douter d’où venait le coup. Il faudrait le pinceau de Hogarth ou de Charlet pour rendre l’expression des huit figures qui vinrent se placer autour de la table du conseil, après l’apparition de la fameuse brochure. La neuvième n’était sans doute pas la moins curieuse à observer. Enfin, après quelques minutes données mutuellement à l’observation, M. Guizot démontra, en bons et dignes termes, que le conseil était dans la nécessité de réclamer une prompte protestation contre ce pamphlet, qui attaquait tous les principes du gouvernement représentatif. Il demanda qu’un démenti éclatant fût donné dans le journal officiel, dans les feuilles ministérielles, dans les chambres, et partout, à ceux qui attribuaient l’écrit insultant de M. Rœderer à une personne auguste. Un flux de paroles répondit à la demande de M. Guizot, et submergea tellement le fait principal, qu’il fut impossible d’y revenir et de l’atteindre. Après trois quarts d’heure d’efforts inutiles, on vit enfin surnager de ce déluge oratoire une proposition à brûle-pourpoint, qui tendait à ramener immédiatement le maréchal Soult à la tête du conseil.

En vérité, le sort des ministres mérite quelquefois notre compassion ! Ce n’est pas tout que d’avoir à redouter le feu continuel des journaux de l’opposition ; au moment où ils s’y attendent le moins, la main qui devrait