Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 1.djvu/584

Cette page a été validée par deux contributeurs.
580
REVUE DES DEUX MONDES.

avec le réprouvé maréchal, dont les répugnances pour M. Thiers ont été enfin vaincues, il y a peu de jours. Ce n’est pas tout. M. Thiers n’est pas homme à ne pas s’assurer de toutes les positions. Le maréchal Gérard pouvait avoir quelques chances ; M. Thiers s’est ménagé plusieurs conférences avec le maréchal Gérard, qui ne s’est pas seul laissé prendre, dit-on, à la glue de sa parole. On entend déjà des hommes graves, des hommes sûrs, et d’une haute valeur politique, dire, en parlant de M. Thiers, qu’il est difficile de se passer de lui dans un cabinet. Ceux qui parlent ainsi conviennent, à la vérité, que M. Thiers n’apporterait pas à ce cabinet le secours et l’influence d’une haute probité politique ; ils avouent même qu’il faudrait que ce ministère fût composé d’hommes bien purs, pour n’avoir rien à redouter d’un pareil contact ; ils sont d’accord sur son incapacité administrative, qui éclate dans les bureaux de l’intérieur, où tout est en suspens, et où les affaires que M. Thiers daigne terminer sont encore plus mal faites que celles qu’il abandonne ; ils ne défendent pas son caractère tracassier, traître, remuant ; ils ne méconnaissent pas cet esprit léger et ingrat qui le porte à être toujours mécontent de sa propre condition, à envahir celle des autres, à compromettre ses collègues par des paroles imprudentes, à les calomnier souvent, à les jouer par de tristes et misérables intrigues. Ils baissent la tête quand on leur demande si c’est par l’habileté dans le choix des hommes que brille le génie de M. Thiers ; s’il montre cet esprit qu’on vante en lui, dans ses rapports avec les députés et les fonctionnaires. Ils ne disent mot quand on leur demande s’il est quelque chose de plus tristement misérable que le ton cassant et supérieur de M. Thiers, en présence de ses égaux, que cette absence complète de formes qui aliène tous les bancs de la chambre. — M. Thiers, disent-ils eux-mêmes, a trahi tout le monde ; il a trahi M. Molé, il a trahi M. Guizot, il le trahira demain encore, lui, le maréchal Soult, le maréchal Gérard, et tous ceux qui lui tendront la main. Nous savons qu’il est sans foi, sans principes et sans parole ; nous savons qu’il est compromis dans les plus déplorables affaires ; nous le savons, et cependant nous ne voyons pas le moyen de nous passer de lui. — Voilà comment les partisans les plus chauds de M. Thiers le défendent. Jugez de ses ennemis !

Nous croyons rendre un véritable service à M. Thiers, en lui faisant connaître les sentimens que professent, à son égard, les personnes dont il cherche le plus à s’approcher en ce moment. On voit qu’elles sont disposées à l’accueillir ; certes, c’est tout ce qu’il faut à M. Thiers. C’est un homme qui s’inquiète peu de savoir si on lui porte de l’estime ; il n’en demande pas tant : un portefeuille est tout ce qu’il lui faut, et il peut en