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DIPLOMATES EUROPÉENS.

gulière. Les gouvernemens ne procèdent pas comme les multitudes. Attendez, nous traiterons quand l’ordre sera rétabli. — L’ordre en effet régna à Varsovie, selon cette généreuse expression de M. Sébastiani, qu’on n’a point oubliée. Mais alors M. Pozzo di Borgo changea de langage ; il déclara que l’empereur de toutes les Russies ne reconnaissait à aucun gouvernement le droit de s’immiscer dans la constitution intérieure de ses états, et qu’il n’appartenait qu’à lui de décider du sort de ses sujets. Cette note passa sans contrôle et sans réponse. On sait quel sort fit à la Pologne la clémence du czar. La chambre en fut pour la sagacité des prévisions de son adresse qui avait annoncé que la nationalité polonaise ne périrait pas.

L’empereur Nicolas n’avait pas encore amnistié la royauté de juillet. Il fut enjoint à M. Pozzo di Borgo de le témoigner par sa froideur. Il dut s’abstenir de toute visite à la cour ; il lui fallait être malade ou se plaire à la campagne dans les occasions solennelles, quand le corps diplomatique portait au château ses félicitations. Toutefois, l’ambassadeur s’en tenait là ; il lui en eût trop coûté de quitter Paris. Loin de provoquer une rupture, il s’efforçait plutôt d’opérer un rapprochement. Ses rapports continuaient de présenter sous un jour favorable la sagesse du gouvernement quasi-légitime ; mais le vieux diplomate n’inspirait plus une entière confiance ; ses tempéramens et sa modération, dont on n’avait plus besoin, le rendaient presque suspect ; on ne s’en rapportait plus à lui seul ; des Russes de distinction étaient envoyés de Saint-Pétersbourg, diplomates au petit pied, chargés d’observer la marche des choses, d’observer l’ambassadeur lui-même peut-être.

De nouvelles difficultés avaient surgi ; la guerre allait se rallumer entre la Porte et la Russie ; l’alliance de la France et de l’Angleterre, resserrée par M. de Talleyrand, pouvait arrêter les desseins du czar sur l’Orient. M. Pozzo di Borgo vit enfin ses arrêts levés. Une nouvelle consigne lui fut donnée ; on lui permit de reparaître au château, et d’y annoncer au roi Louis-Philippe qu’on était satisfait de lui, et qu’il avait trop bien mérité des royautés légitimes pour être exclu plus long-temps de leur familiarité. L’ambassadeur fut même autorisé à proposer vaguement la main d’une princesse de la confédération du Rhin, proche parente de l’empereur Nicolas. Or, comme le mariage de l’héritier du trône avec une fille des grandes races princières de l’Europe est un des rêves des Tuileries, la branche cadette s’estima bien heureuse et bien honorée des avances flatteuses de M. Pozzo di Borgo. Toute la question de l’Orient fut là. Le czar porta ses drapeaux à Constantinople. On ferma les yeux ; on le laissa faire ; on le seconda par l’inertie ! Pourquoi non ? L’em-