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lippe ne s’était pas borné à écrire à l’empereur Nicolas la lettre où il s’excusait humblement d’avoir accepté le trône après les déplorables événemens de juillet, mais il avait en outre chargé son ambassadeur extraordinaire d’affirmer confidentiellement que tout ce qui se passait à Paris n’était qu’une sorte d’intermède, en attendant le troisième acte de la restauration légitime. Le czar avait pu trouver le divertissement spirituel, mais il n’en avait pas été dupe. Sa réponse froide aux touchantes communications de Louis-Philippe témoignait suffisamment son mauvais vouloir.

Lorsque survint la révolution belge, qui rendait la nôtre plus inquiétante, une ligne d’opérations était déjà tracée de Saint-Pétersbourg aux frontières prussiennes. L’armée polonaise devait former l’avant-garde de la grande armée russe. M. Pozzo di Borgo avait reçu l’ordre de se tenir prêt à demander ses passeports. C’est à ce moment que la révolution de Varsovie fit à son tour son explosion. Une nouvelle dépêche de l’empereur Nicolas enjoignit à l’ambassadeur de temporiser, et surtout d’empêcher l’intervention de la France.

Ce fut un des momens les plus difficiles de la vie diplomatique de M. Pozzo di Borgo. La cause polonaise avait éveillé la sympathie de toutes les ames généreuses ; elle avait remué violemment le peuple de Paris, à peine rentré dans son lit depuis le grand débordement de juillet. L’émeute recommençait à gronder : un soir elle fut plus menaçante et plus indignée ; de nombreux rassemblemens se portèrent sous les fenêtres de l’ambassadeur russe avec les cris de : Vive la Pologne ! à bas les Russes ! Des pierres furent lancées aux carreaux de l’hôtel. Tous les agens de l’ambassade entourent leur chef, et le pressent de se mettre en sûreté, de faire demander ses passeports, « La situation de l’empereur est critique, dit M. Pozzo di Borgo ; ne l’aggravons pas par une rupture inopportune avec la France ; attendons les satisfactions qui nous seront faites ; la canaille n’est pas le gouvernement. Nous ne résidons pas auprès de la rue, mais auprès d’une autorité constituée. Tournons les faits populaires, mais ne les attaquons pas de front. » Le lendemain, le ministre des affaires étrangères vint lui offrir réparation de la part du gouvernement, et un poste de sûreté fut établi à son ambassade.

Il est certain que les notes du gouvernement français sur la question polonaise, déjà bien assez timides dans la haute pensée qui les avait conçues, s’exprimèrent sous la plume des commis des affaires étrangères avec un tel redoublement de mansuétude, que l’ambassadeur russe ne put s’en inquiéter beaucoup. Il eut réponse à tout. — Attendez, disait-il ; quand l’insurrection sera étouffée, nous engagerons une négociation ré-