Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 1.djvu/570

Cette page a été validée par deux contributeurs.
566
REVUE DES DEUX MONDES.

Ainsi le montagnard corse avait atteint le but de toute sa vie ; il assistait aux funérailles politiques de l’empereur. Singulières destinées de ces deux hommes ! Nés à une année de distance, ils étaient sortis de leur île tous deux pauvres et ignorés, nourrissant déjà un mutuel et profond ressentiment. L’un avait bientôt mis sur sa tête la première couronne de l’univers ; l’autre, proscrit par lui, n’avait couru le monde qu’afin de se hausser assez pour la lui arracher du front !

Le sénat avait proclamé la déchéance de l’empereur et rappelé l’ancienne dynastie. Le général Pozzo di Borgo fut chargé par les souverains alliés d’aller recevoir à Londres le roi Louis xviii. Ce n’était pas là seulement une mission d’honneur qu’on lui confiait. Il avait à exposer au prince l’état réel des esprits en France et la nécessité d’adopter des formes de gouvernement en harmonie avec les idées libérales. On n’ignorait pas que le parti royaliste exagéré n’épargnerait rien pour circonvenir le nouveau monarque et le jeter dans les folies contre-révolutionnaires. Il importait de prévenir ce danger. M. Pozzo di Borgo, qui avait tant fait pour la restauration, mais qui cependant n’avait pas complètement oublié les principes de 89, était éminemment propre à cette négociation. Arrivé à Calais, il avait à la hâte frété un navire de passage et se rendait à bord. Une rencontre inattendue lui offrit un imposant exemple de la fragilité des opinions politiques. Un étranger vint vers lui qui lui demanda de le recevoir sur son bâtiment pour aller au-devant de Louis xviii. — Qui êtes-vous ? dit M. Pozzo di Borgo. — Je suis le duc de Larochefoucauld-Liancourt. Je vais reprendre mes anciennes fonctions auprès du roi. — Qu’on juge de la surprise du général. Le duc de Liancourt n’avait pas blessé Monsieur seulement à l’Assemblée constituante ; il l’avait encore profondément offensé depuis, en lui renvoyant des États-Unis le cordon de ses ordres en signe de mépris pour tous les hochets de noblesse. Ces péchés-là, Louis xviii ne les pardonnait pas à un gentilhomme. Le diplomate admit toutefois fort courtoisement le noble révolutionnaire venu à résipiscence. Mais chose plus curieuse ! le premier soin du duc de Liancourt, en mettant le pied sur le yacht royal, fut de se parer de ce cordon qu’il avait si dédaigneusement traité pendant son accès de républicanisme américain. Louis xviii ne voulut pas même le recevoir. Il accueillit au contraire M. Pozzo di Borgo comme un ami, comme un bienfaiteur.

Le général revint à Paris avec le souverain. Le voyage, durant lequel ils ne se séparèrent point, fournit au diplomate le temps et l’occasion d’accomplir son honorable mission. C’est aux conversations de ce voyage qu’il faut rapporter la déclaration de Saint-Ouen, base de cette charte octroyée dont les événemens ont démontré postérieurement l’insuffisance, mais qui