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ANCIENS POÈTES FRANÇAIS.

L’autorité de son nom était grande, et sa réputation survivait tout entière à la nouveauté de ses écrits. Sa conversation était spirituelle et enjouée. On se pressait autour de lui pour l’entendre. Chaque souvenir de sa vie lui rappelait quelque mot charmant, quelque facétie ingénieuse, qu’il racontait avec grâce, mais si bas, si bas, que souvent on ne l’entendait pas, et qu’il s’étonnait d’avoir ri seul du mot que seul il avait entendu. Alors il se tournait vers Ménage, qui écoutait pour l’histoire, et lui disait : « Je vois bien que ces messieurs ne m’ont pas entendu ; traduisez-moi en langue vulgaire. » Il y a quelque mélancolie dans ce dernier mot. Le pauvre vieux poète comprenait qu’on ne parlait plus autour de lui la langue de sa jeunesse. Ceux qu’il avait chantés n’étaient plus, celles qu’il avait aimées appartenaient à un autre règne. C’étaient de nouveaux noms, de nouvelles mœurs, tout un siècle nouveau ; et au milieu de ce siècle, il était là, lui, comme un débris vivant de la société d’autrefois. La France entière battait alors des mains aux triomphes du grand Corneille. Dans son coin, Pascal écrivait les Provinciales, et mourait de ses pensées. Racan était un habitué de l’hôtel de Rambouillet ; il était là peut-être le jour où Molière y fut présenté, le jour où Bossuet, enfant, y prêcha son premier sermon. On murmurait déjà dans quelques ruelles le nom d’un jeune clerc de la Ferté-Milon, protégé par Chapelain, et qui depuis fut Racine. Mais les vieilles renommées se tournent rarement du côté des gloires naissantes, et vivent plus volontiers dans le passé. Boileau qui l’aimait, ce passé, s’arrêta avec respect devant le disciple de Malherbe. Lui qui oublia La Fontaine, s’est trois fois souvenu de Racan, et trois fois il le nomme avec honneur. Il appartenait à Boileau de payer à la vieillesse de Racan et à la mémoire de Malherbe les services que l’un et l’autre ils avaient rendus à la langue.

Racan mourut au mois de février 1670. Il avait quatre-vingt-un ans.

Deux ans auparavant, La Fontaine avait publié ses premières fables. On aime à se figurer ce livre tombant un beau matin à Laroche-Racan. Voilà, sans doute, notre poète bien étonné en recevant de Paris tant de vers empreints de ce doux et sincère amour de la nature, écrits avec cette aisance et cette bonhomie que parfois