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ANCIENS POÈTES FRANÇAIS.

avait eu tant de peine à calmer ce pauvre Malherbe, dans la cour du logis du roi, à la Rochelle.

J’ai parlé déjà des distractions de Racan : je pourrais en parler long-temps, j’aime mieux renvoyer le lecteur aux ana de l’époque. Chacun a lu dans Ménage l’aventure des trois Racan : il faut la relire dans les Historiettes. Elle y est merveilleusement racontée. On voit bien que Tallemant l’a recueillie de la bouche de Boisrobert, et qu’il a entendu le vieux Racan lui-même dire en secouant la tête et riant jusqu’aux larmes : Il dit vlai, il dit vlai. Cette pauvre Mlle de Gournay, si cruellement jouée par les enfans de Malherbe, était le dernier débris de l’école déchue de Ronsard. Ô fortune ennemie ! pouvait avec ironie s’écrier le jeune Corneille, qui commençait dès-lors à hériter des deux écoles.

Cependant le génie de notre poète se renouvelait aux champs dans le calme de la solitude ; la poésie lui revenait doucement à l’ame. Il l’accueillit comme un ami de la jeunesse qu’on retrouve avec bonheur pour ses vieux jours. Quelque matin sans doute, en refeuilletant son Malherbe, il tomba sur ce beau cantique : N’espérons plus, mon âme, etc., et il se sentit renaître à l’inspiration. Ses idées s’étaient élevées dans la retraite ; rien n’enseigne la religion à l’ame comme le repos des champs et l’égalité de la vie domestique. Racan comprit que ce n’était plus pour lui la saison des stances bachiques et des amoureuses chansons : « Je suis, disait-il, comme ces vieilles beautés qui, ayant perdu toutes les grâces de la nature et de la jeunesse, sont réduites à payer dans les compagnies de la gravité de leur mine et de l’agrément de leurs paroles. » Notre poète sur le retour résolut de traduire les psaumes. Certain abbé de Raimefort, qui, après avoir long-temps vécu dans les tempêtes du monde, était venu, comme dit Racan, prendre terre en son voisinage, l’excitait fort en ce dessein, Racan se mit à l’œuvre et traduisit deux psaumes. Aussitôt il les envoie à l’Académie, lui demandant conseil ; il avoue ingénuement qu’il ne sait pas le latin et qu’il traduit sur les versions françaises. Or, l’art de traduire était alors tellement imparfait, que rien n’arrivait à Racan de la couleur originale : partout l’image disparaît devant l’expression abstraite. Si Racan retrouve parfois le mouvement lyrique, le tour élégiaque, poète, c’est que l’istinct le pousse ; chrétien,