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ANCIENS POÈTES FRANÇAIS.

là un petit page qui se mêlait aussi de faire des vers. On fit sans doute avertir le jeune homme, qui vint en rougissant saluer Malherbe. Je crois le voir regarder avec une pieuse crainte cette belle et sévère figure ; puis, pour obéir à sa noble parente, réciter d’une voix émue cette première élégie dont je parlais tout à l’heure. Le page embarrassé froisse dans ses doigts sa toque à plumes, et jette tour-à-tour un coup d’œil furtif à la duchesse, dont il redoute fort la colère, et à cet étranger, dont il attend l’arrêt avec tremblement. J’ignore comment la belle duchesse prit les vers ; mais je ne doute pas qu’ils n’aient été du goût de Malherbe. Il n’y avait rien dans les idées qui fût de nature à lui déplaire, et la versification avait une sorte de fermeté qui dut le charmer. J’ai peine à croire que les choses ne se soient pas ainsi passées. Racan emporta sans doute de cette première entrevue du bonheur pour toute sa vie ; ce n’était pas, comme Chérubin, le baiser de Rosine, c’était le sourire d’un grand poète.

Quelques années après, Racan prit le chemin de Calais pour y faire ses premières armes. Il est probable qu’il y fit aussi des vers ; mais aucune pièce, dans son recueil, ne porte assez distinctement la date de cette époque. Ce fut seulement après son mariage qu’il abandonna la profession des armes. Il nous apprend lui-même, dans une ode à Louis xiv, qu’il prit part à presque toutes les expéditions de Louis xiii.


Je l’ai suivi dans les combats,
J’ai vu foudroyer les rebelles,
J’ai vu tomber les citadelles
Sous la pesanteur de son bras ;
J’ai vu forcer les avenues
Des Alpes qui percent les nues,
Et leurs sommets impérieux
S’humilier devant la foudre
De qui l’éclat victorieux
Avait mis La Rochelle en poudre.


Il nous reste, de la vie militaire de Racan, un monument qui mérite de nous arrêter : c’est une scène de bivouac, décrite avec une vérité de détails vraiment originale. Je ne saurais dire à quelle