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fut rencontré, et ceux qui le virent, s’écrièrent : Homme, quel mal as-tu fait pour être ainsi vieilli et malade comme les animaux périssables ? Il répondit : Je ne ressemble pas à mes frères, mais je n’ai fait aucun mal, et Dieu m’a visité et révélé plusieurs secrets que je vous enseignerai. Il parlait ainsi pour donner le change à leur curiosité, et pendant la nuit il essaya de transporter sa famille dans un lieu encore plus inaccessible. Mais le jour le surprit avant qu’il fut parvenu à sa nouvelle retraite, et il fut rencontré avec sa femme montée sur un âne sauvage, et ses enfans dont le plus jeune était dans ses bras.

À cette vue, les voyageurs se prosternèrent ; la femme leur parut si belle, qu’ils la prirent pour un ange ; et malgré la résistance de l’époux, ils l’entraînèrent dans la vallée, la firent entrer dans le temple, et lui élevant un autel, ils l’adorèrent. Ce fut la première idolâtrie.

L’époux espérait que le respect les empêcherait de convoiter cette femme ; mais elle, craignant d’offenser le Seigneur, brisa les liens de fleurs dont on l’avait enlacée, et tomba dans les bras de son époux, en s’écriant : Je ne suis point une divinité, mais une esclave de Dieu, une créature périssable et faible, la femme et la sœur de cet homme. Je lui appartiens, parce que Dieu m’a envoyée vers lui ; si vous essayez de m’en séparer, je me briserai la tête contre cet autel, et vous me verrez mourir, car je suis mortelle, et mon époux l’est aussi.

À ces mots les voyageurs éprouvèrent une émotion inconnue et furent saisis d’une sympathie étrange pour ces deux infortunés ; comme ils étaient bons et justes, ils respectèrent la fidélité de la femme. Ils la contemplèrent avec admiration, prirent ses enfans dans leurs bras, et ravis de leur beauté délicate et de leurs naïves paroles, ils se mirent à les aimer.

Alors le peuple immortel, tombant à genoux, s’écria : « Dieu, ôte-nous l’immortalité, et donne à chacun de nous une femme comme celle-ci ; nous aimerons ses enfans, et nous travaillerons pour notre famille, jusqu’à l’heure où tu nous enverras la mort ; nous te bénirons tous les jours, si tu exauces notre vœu. »

La voûte du temple fut enlevée par une main invisible, un escalier ardent, dont chaque marche était une nuance de l’arc en