Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 1.djvu/482

Cette page a été validée par deux contributeurs.
478
REVUE DES DEUX MONDES.

Pourquoi ce monde que je vous ai confié marche-t-il comme s’il était ivre ? Avez-vous bu la coupe de l’orgueil ? Prétendez-vous faire les œuvres de l’Éternel ? Un esprit plus puissant que vous va se lever à ma voix ; il vous enchaînera, et vous forcera de vivre en paix.

L’Éternel passa ; et quand les quatre Esprits virent s’effacer dans l’espace le cercle de feu que traçaient les roues de son char, ils reprirent courage, et, se regardant, ils se dirent : Pourquoi ne résisterions-nous pas à l’Éternel ? Ne sommes-nous pas éternels, nous aussi ? Il nous a créés, mais il ne peut nous détruire, car il nous a dit : Vous n’aurez pas de fin. L’Éternel ne peut reprendre sa parole. Il nous a donné ce monde. Mais c’est nous qui l’avons couvert de plantes et d’animaux. Nous aussi, nous sommes créateurs. Unissons-nous, armons nos volcans en guerre. Que l’océan gronde, que la lave bouillonne, que la foudre sillonne les airs, et vienne l’Éternel pour nous donner des lois !

En parlant ainsi, ils cessèrent de se haïr ; et, abaissant leur vol sur les montagnes les plus élevées de la terre : Nous allons, dirent-ils, entasser ces monts les uns sur les autres, et nous atteindrons ainsi à la demeure de Dieu. Nous le renverserons, et nous régnerons sur tous les mondes.

Mais comme ils commençaient leur travail insensé, un ange envoyé par le Seigneur versa sur eux la coupe du mépris, et, saisis de torpeur, ils s’endormirent comme des hommes pris de vin.

Et quand ils se réveillèrent, ils virent sur la mousse un être inconnu, plus beau qu’eux, quoique délicat et frêle. Sa tête n’était pas flamboyante, et son corps n’était pas couvert d’une armure d’écailles de serpent ; le ver à soie semblait avoir filé l’or de sa chevelure, et sa peau était lisse et blanche comme le tissu des lis.

Les Esprits étonnés l’entourèrent pour le contempler, s’émerveillant de sa beauté, et se demandant l’un à l’autre si c’était là un esprit ou un corps. Cependant cette créature dormait paisiblement sur la mousse, et les fleurs se penchaient sur elle comme pour l’admirer ; les oiseaux et les insectes voltigeaient autour d’elle, n’osant becqueter ses lèvres de pourpre, et formant un rideau d’ailes doucement agitées entre son visage et le soleil du matin, qui