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conquérant, vulgarisée par tous les siècles, relèvent aux yeux de l’avenir les pacifiques conquêtes, les trophées plus solides et plus rares dont il a enrichi ses peuples ; il a eu la gloire de poursuivre sa réforme avec une infatigable ardeur au milieu de ses armemens continuels. À lui aussi la gloire d’avoir francisé l’Égypte ! car il appelle incessamment l’initiation française ; il la récompense de son admiration, de ses honneurs, de ses trésors. Bimbachys, beys, pachas, les Français à son service, en dépit des préjugés religieux, sont par lui revêtus de tous les grades ; ouvriers, maîtres, conducteurs de travaux, ingénieurs, médecins, mathématiciens, marins, militaires, artistes, des Français figurent chez lui dans tous les rangs et communiquent à tous l’enthousiasme du grand et du beau. L’activité française circule dans ses états comme un courant électrique, comme une sève vivifiante ; par elle, il crée des arsenaux, des flottes, des fonderies, des manufactures, des écoles : par elle, l’Égypte commence à s’animer, à savoir, à sentir, à vivre ; par elle, toutes les gigantesques entreprises qu’avait rêvées pour ce pays le grand homme de la France, Mohammed-Ali les réalise, et ses actes s’élèvent à cette haute inspiration. Cette pensée de civilisation orientale, née du génie de Napoléon, et dont Mohammed-Ali s’était épris dès sa jeunesse, maintenant qu’il est puissant, il l’épouse et elle devient féconde pour le bonheur de l’humanité, car ce n’est pas l’Orient seul qui bénira tant de glorieux enfantemens : l’Occident y trouve aussi pour ses peuples une garantie de richesses et de prospérités nouvelles. Si, par la guerre, Mohammed-Ali a produit, entre trois continens, un conflit inévitable et momentané d’ambition, de jalousie et de haine, par les travaux et les arts de la paix, il leur a préparé une longue communion d’affections, d’intérêts et de jouissances.


Lucien Davésiés.