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MOHAMMED-ALI-PACHA.

tique ; il fallait un levier qui relevât ce peuple tout d’une pièce, et le remit sur ses pieds. — Mohammed-Ali fut ce levier.

Toutefois sa politique, si puissante à remuer les populations sur lesquelles la religion lui donne prise, est trop inflexible pour maîtriser de même les races que leurs habitudes et leurs croyances religieuses n’offrent pas toutes passives à son action. Sa domination devient pour ces dernières un lit de Procuste qui ne peut les contenir sans les mutiler. Maronites et Druses, chrétiens et schismatiques, sont traités par lui comme s’il comptait sur la résignation de leur orthodoxie ; aussi ces hommes, révoltés contre la tyrannie d’une autorité musulmane, lui vendent-ils chèrement la possession de leurs montagnes. Il lui faudra renoncer à la Syrie, ou plutôt modifier l’administration trop rigoureuse qu’il y a d’abord introduite ; mais, quoi qu’il arrive, il y a pour lui dans cette résistance une indication dont il a sans doute déjà pénétré le sens : c’est qu’à un gouvernement trop peu élastique pour se prêter aux variétés de mœurs et de caractères, il ne faut que des peuples homogènes et homœopathes ; son pouvoir marche en Asie avec la langue arabe : contesté là où cette langue se mêle à d’autres idiomes, il doit s’arrêter là où elle disparaît.

Aussi bien ce ne sont plus seulement les Osmanlis qui lui barrent le passage. Déjà les Russes accourent défendre Constantinople, proie superbe que se réserve l’ambition de leurs autocrates, et la France, ainsi que l’Angleterre, interdit à l’Égypte de provoquer, par ses menaces, cette intervention du czar, également dangereuse pour tous. — Retenu par des obstacles providentiels dans le vaste cercle politique que sa puissante épée a tracée autour de lui et dont il s’est fait centre, Mohammed-Ali n’a plus aujourd’hui qu’à achever, au sein de ses états pacifiés, la mission qui lui avait imposé le triple rôle de révolutionnaire, de conquérant et de fondateur.

Révolutionnaire, — il a soustrait son pays à l’autorité de la Porte, détruit la milice des Mameluks, renversé l’empire des Wahabytes, dépouillé le clergé de son pouvoir temporel.

Conquérant, — il a envahi l’Arabie, la Nubie, la Morée, la Crète, la Syrie.

Fondateur, — il a ressuscité la nationalité arabe, organisé le nizam ou armée régulière, introduit en Égypte les arts, les sciences, les industries de l’Europe. C’est à cette grande œuvre qu’il met aujourd’hui la dernière main.

Heurter un continent contre l’autre et forcer l’Europe à s’interposer entre l’Afrique et l’Asie musulmane, c’était sans doute couronner avec éclat vingt-huit années de règne ; mais plus haut que cette célébrité de