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depuis l’expédition de Bonaparte, par aucun fait d’armes mémorable. Ils avaient contribué, en débutant, à repousser une armée française marchant sous la bannière de la religion ; des Français d’un autre âge, combattant au nom de la liberté, prirent sur eux une dernière revanche, et la France ensevelit ainsi dans ses victoires cette gloire militaire qu’elle avait vu naître.

L’obstacle renversé, l’armée partit. À une guerre d’extermination, les Wahabytes opposèrent le courage du désespoir. Ibrahim-Pacha, second fils du vice-roi, dut aller au secours de son frère Toussoun ; il fallut s’y prendre à trois fois pour réduire cette puissance, menaçante rivale du Kaire et de Constantinople ; mais enfin, après six années consécutives de siéges, de marches, de combats et de massacres, Ibrahim rasa Derrégéh, capitale de l’empire sectaire, et la révolte fut noyée dans des flots de sang.

Jusqu’ici nous avons vu Mohammed-Ali réprimer, punir, faucher, non pour récolter, mais pour détruire. Sa politique s’est montrée toute négative. Il va commencer maintenant à semer, à fonder, à organiser ; son gouvernement va devenir à la fois conquérant et créateur. Déjà les victoires de ses fils dans la péninsule arabique, ont ajouté à ses possessions le grand chérifat de la Mecque, les villes principales du Nedjed et les ports de la mer Rouge : il continue à recomposer par la conquête ce vaste royaume des Pharaons, dont il ne gouverne encore qu’une partie.

L’Arabie a dévoré l’élite de ses soldats, et l’Égypte, épuisée d’hommes et d’argent, ne suffit plus à réparer tant de pertes. C’est aux régions méridionales, terres nourricières des esclaves où les mères pleurent sur leur fécondité, que le pacha va demander des ressources nouvelles, et porter en échange de plus heureux destins. Remontant le Nil à la tête des débris de l’armée, son fils Ismayl rattache la vieille Éthiopie à l’Égypte, qui reçut d’elle autrefois ses premiers éléments de civilisation, et qui pourra bientôt enfin lui payer sa dette de six mille ans. En vain l’Afrique sauvage accourt-elle tout armée du fond de ses déserts ; en vain les féroces Chaykié, les anthropophages Chelouks opposent-ils à la mousqueterie égyptienne leurs javelots empoisonnés, leurs armures de fer et leurs boucliers de peau de rhinocéros ; ils sont repoussés vers les sources du fleuve qu’ils adorent. Le Kénons, encore peuplé de ces colosses et de ces temples géans que le grand Sésostris semait sur son passage, le Chendy, territoire oublié de la théocratique Meroé, le Domer, le Halfay, le Sennâr que le fleuve Blanc et le fleuve Bleu embrassent dans leurs détours, la Basse et la Haute-Nubie, qui, depuis Cambyse, n’avaient pas vu d’armée de race cauca-