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MOHAMMED-ALI-PACHA.

lerie, moins nombreuse, n’était qu’un amas d’aventuriers de tous pays, et formait un de ces corps d’éclaireurs que les Turks appellent les fous (delhis). Insuffisante par elle-même contre cette superbe milice des Mameluks, la première cavalerie du monde, suivant l’expression de Bonaparte, cette armée devait tirer sa force des haines et des jalousies qui divisaient ses adversaires ; car, dans leur aveugle ambition, les beys se montraient toujours prêts à sacrifier leur cause commune à des intérêts individuels.

À cet élément de succès, le nouveau vice-roi crut en ajouter un autre en confiant une de ses bannières à Mohammed-Ali, qui avait fait la dernière campagne sous ses ordres, et dont il avait remarqué la bravoure et l’intelligence. Puis, égaré par cet esprit de vertige qui semble présider à la politique des Turks depuis qu’ils justifient leur fatalisme par leur propre décadence, il exclut de son état-major le seul homme qui puisse lui offrir un véritable appui. Ses troupes viennent d’essuyer un échec près de Damanhour : les chefs en rejettent la faute sur l’absence de Mohammed-Ali, qu’ils taxent de malveillance et de lâcheté ; et le pacha, avec une inconséquence inexplicable, prête l’oreille à cette calomnie. En vain l’accusé prouve-t-il qu’il ne s’est éloigné du champ de bataille que pour opérer une diversion indispensable et concertée d’ailleurs avec les autres généraux ; on le destitue.

Outré de cette insultante disgrâce, il fait sa paix avec les Mameluks, stipule une alliance entre eux et leurs ennemis les Albanais, ouvre au bey les portes du Kaire, et oblige Mohammed-Kousrouf à se réfugier dans Damiette, où il court l’assiéger et le prendre. De ce jour date l’influence politique de Mohammed-Ali.

Essentiellement conservateur et stationnaire au milieu des désordres anarchiques, l’Orient semble répugner à ces subversions complètes qui abolissent d’un seul coup le fait et le droit ; et lors même qu’il renverse les institutions, il en respecte encore les formes extérieures. On peut dire aussi qu’en Orient les révolutions épargnent les choses et n’atteignent guère que les hommes. Les gouvernans succombent, mais les gouvernemens résistent. Depuis trois siècles que les Mameluks se battaient contre les vice-rois d’Égypte, les coutumes de cette institution hétérogène établies par Sélim Ier n’avaient pas subi d’altération, et il ne s’était pas fait, entre les deux partis, une seule déclaration de guerre. Un pacha était-il tué ou déposé ? le mécanisme administratif du divan n’en fonctionnait en apparence ni plus ni moins régulièrement. On nommait un autre visir, et on le chargeait secrètement d’une mission de vengeance ; mais le grand-seigneur, par des témoignages officiels, se hâtait d’approuver la révolte,