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strophe et l’antistrophe. Ne laissez dans l’ombre aucune des émotions que vous avez pénétrées ; mettez à nu le cœur saignant dont vous savez les souffrances. Il vous restera beaucoup, si ce n’est tout, à faire, avant d’aborder la scène.

Oui, sans doute, l’action réduite à elle-même n’est qu’un spectacle brutal. Il n’y a, dans une œuvre ainsi conçue, rien de littéraire, rien qui mérite l’attention des esprits choisis. Mais l’analyse sans l’action n’est pas moins impuissante que l’action sans l’analyse. Le mouvement inexpliqué, le mouvement sans la philosophie, plaira tout au plus à la populace. Mais la philosophie sans mouvement, la philosophie libre et souveraine, régnant sans contrôle sur le monde des idées, ne s’adresse qu’aux lecteurs studieux, et ne doit pas espérer d’être écoutée au théâtre.

Or, si je ne m’abuse, dans le drame de M. de Vigny, l’analyse est savante, inépuisable, courageuse, ingénieuse en ressources ; mais elle est seule, et ne peut suppléer l’action absente. Qu’on en juge.

Au premier acte, Kitty et Chatterton sont en présence. Avec un mot, s’ils avaient l’occasion de le dire, ils se comprendraient. Le poète confierait sa douleur, la mère chaste et pieuse le consolerait sans remords. Son amitié sainte trouverait des paroles salutaires sans se détourner de la route du devoir. Cette Bible surprise entre les mains de ses enfans, qui vient de lui, et qu’elle veut lui rendre, témoigne assez haut de sa sympathie pour le malheur. Sa soumission empressée aux conseils du docteur, sa crainte d’offenser par un refus la pauvreté du poète, motiveraient un épanchement entre ces deux âmes fraternelles. Mais le sage s’interpose, il ne veut pas permettre le mutuel aveu qui pourrait les perdre. Il emmène Chatterton, et dès ce moment on prévoit, sans trop de sagacité, que l’action ne s’engagera pas. Les personnages, une fois posés, ne peuvent s’animer sans mentir à leur nature. — L’explication de Kitty avec son mari est délicate, gracieuse, ingénue, touchante ; mais elle n’accélère pas d’une minute le progrès de la fable dramatique.

Au second acte, la visite de lord Talbot à Chatterton, son ancien camarade de collège, semble un instant engager la lutte entre le poète et Kitty. La jeune mère, si près du rôle d’amante, craint d’avoir été trompée. Elle croyait aimer dans Chatterton l’abandon et