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CHATTERTON.

L’histoire, la critique, la philologie, s’ouvraient à lui, et lui promettaient une vie, sinon éclatante, au moins paisible ; il pouvait prétendre au laurier du poète, mais franchement, sans ruse enfantine, sans ridicule supercherie. Il n’avait qu’à mettre sous son nom ce qu’il avait prêté à Rowley, à William Canynge, et livrer sa pensée sous le voile transparent de la langue contemporaine, sans recourir au prestige de l’archaïsme, déjà fort usé avant lui.

Le dédain et la colère le séparaient de ceux qui pouvaient le secourir. Il ne trouvait pas de fortune à sa taille. Le suicide lui paraissait la seule vengeance digne de lui. Il avala une dissolution d’arsenic. Il est dit, dans l’enquête du coroner, qu’il avait, dans une de ses poches, un flacon d’opium, et, parmi ses papiers, le calcul de ce qu’il avait gagné à la mort du lord-maire. Il avait évalué la vente d’une brochure composée sous le patronage de lord Beckford. Cette brochure demeura inédite. Une élégie sur sa mort se vendit assez bien, et Chatterton, en comparant le gain présumé de la brochure au gain de l’élégie, décide que son profit net est de trois livres sterling. Il ajoute en note : « Je me réjouis donc de la mort de lord Beckford pour trois livres sterling. »

Où sont dans cette biographie les élémens d’un poème dramatique ? Le mérite incontestable d’Œlla, de Godwin et de la ballade de charité n’a rien à faire avec l’intérêt scénique. C’est l’homme qu’il faut prendre, et non pas le poète ; car le génie de Chatterton, lors même qu’il eût été méconnu, et il ne l’a pas été, ne serait pas un moyen d’émotion. Et dans cet homme qu’y a-t-il ? Le patriotisme ? mais il a prostitué sa plume. L’amour ? mais à l’exception d’une correspondance assez courte avec miss Maria Rumley, entamée d’après le conseil de mistriss Newton, sœur du poète, et médiocrement animée, rien dans la vie de Chatterton ne révèle une passion sérieuse pour aucune femme. Miss Rumley n’était qu’une fantaisie, un amour de tête, et rien de plus. Toute la vie de Chatterton se résume dans un seul mot : l’orgueil. S’il y a un drame à construire avec son nom, c’est l’orgueil qui posera les fondemens de l’édifice.

Loin de moi la pensée de tracer le programme d’une tragédie en quelques lignes. Mais j’imagine que Schiller ou Shakspeare, résolus à dramatiser Chatterton, se seraient proposé, pour tâche unique,