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mens littéraires anglo-saxons et anglo-normands. Mason, aussi difficile à tromper que Sharon Turner ou Augustin Thierry, signale, dans les poèmes de Rowley, de nombreux anachronismes de langage. Walpole écrit à Chatterton une lettre polie, mais sans lui renvoyer ses manuscrits. Il part pour la France, et trouve à son retour une lettre de Chatterton, pleine de colère et d’invectives. Il dédaigne les accusations de plagiat dirigées contre lui, et se contente de renvoyer les poèmes de Rowley.

Trompé dans son espérance, au lieu de prendre une résolution courageuse, et de s’avouer tout simplement l’auteur d’Œlla et de Godwin, Chatterton s’aigrit, et entreprend de ridiculiser les grands qui lui refusent leur protection. Il écrit des pamphlets pour la cour et le ministère ; ses pamphlets ne sont pas lus ; il passe à l’opposition. Lord Beckford, maire de Londres, combat le ministère : Chatterton écrit pour lord Beckford ; mais il ne gagne à cette apostasie que le mépris des deux partis. Il a pris soin de nous expliquer lui-même, dans une lettre adressée à sa sœur, pourquoi les pamphlets ministériels étaient plus lucratifs que les pamphlets de l’opposition. Les grands seigneurs, comme il le dit très bien, sont si pauvres en mérite, qu’ils ne lésinent pas pour récompenser leurs panégyristes. Il faut payer de ses deniers l’impression de l’éloge, mais on est dédommagé. Écrire pour l’opposition, c’est une chance de popularité, mais il n’y a pas un shilling à gagner de ce côté.

Voilà pourtant ce que Chatterton écrivait à sa sœur. Et l’on accuse son siècle de l’avoir méconnu ! Dégoûté de la polémique, où il trouvait si peu de profit, il veut partir, sur un navire de l’état, comme chirurgien. Il a besoin d’un certificat de capacité, il s’adresse à M. Barrett, sous lequel il a étudié, pendant six mois tout au plus, les premiers élémens de la chirurgie. Par un mouvement de probité bien facile à concevoir, M. Barrett refuse de répondre pour lui. Trop fier pour se remettre au travail, et pour attendre des jours meilleurs et plus glorieux, au milieu d’études obscures, mais lucratives ; compromis trop maladroitement pour solliciter sans honte les secours du ministère ou de l’opposition, Chatterton se résout à mourir. Le pain ne lui manquait pas. Il avait des engagemens avantageux avec la plupart des publications périodiques.