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CHATTERTON.

téraire, ne se rattachaient au sujet qu’il a choisi. Goëthe et Œlenschlæger ont voulu mettre au théâtre le caractère d’un artiste méconnu. Malgré le mérite incontestable du Tasso et du Corregio, je crois pouvoir affirmer que ces deux poèmes dramatiques ne conviennent pas à la scène. Il n’est donc pas hors de propos de feuilleter la biographie de Chatterton, et de voir si par hasard il s’y rencontre des élémens scéniques. Comme thèse générale, je maintiens l’inopportunité des poètes au théâtre. Si la biographie de Chatterton réfute mon opinion, je m’avouerai vaincu dans un cas particulier. —

Or, il n’est pas vrai, comme on le répète vulgairement, que l’auteur d’Œlla soit mort victime de l’ingratitude et de la misère. Il s’est tué à dix-huit ans. Oui ; mais ni la gloire, ni la fortune ne lui manquaient. C’est l’orgueil qui a mis le poison sur ses lèvres.

Ses premières années se passèrent dans une obscurité paisible. Placé à l’âge de quinze ans chez un homme de loi, il profita des loisirs que son maître lui laissait pour déchiffrer ou inventer de vieilles poésies. Quelques vers publiés dans un journal de Bristol, sans signature, mais dont l’honneur tout entier lui fut attribué par d’habiles indiscrétions, l’encouragèrent à continuer son travail d’archéologue ou de poète, peu importe. En essayant de concilier les révélations souvent contradictoires publiées par ses amis, on arrive à penser que le pseudonyme Rowley n’est pas un pur mensonge. Une partie des œuvres de Chatterton appartient vraiment à l’éditeur. Mais le jeune clerc de Bristol a eu entre les mains des matériaux nombreux dont l’authenticité semble hors de doute.

Jusqu’au jour où son nom se répéta de bouche en bouche, il se trouvait à l’étroit dans sa famille. Dès que la renommée fut venue à lui, son parti fut pris de quitter ses parens pour une fortune incertaine, et qu’il attendait de la seule gloire. Il arrive à Londres, il porte ses lettres de recommandation, il travaille pour les libraires, pour les revues, les journaux, il entre en relation avec les écrivains à la mode, il fréquente les clubs et les cafés. Tout allait bien jusque-là, mais il s’avise d’envoyer à Horace Walpole, à l’auteur du Château d’Otrante, l’un des plus savans antiquaires de son temps, les poésies de Rowley. L’illustre bibliophile, se défiant de ses propres lumières, consulte Mason, poète érudit et familier aux monu-