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LES CIMETIÈRES DE MADRID.

ils avaient le plus d’envie. — C’étaient, disaient-ils, des os incomplets, en mauvais état et sans valeur.

Le fossoyeur n’y mettait pas d’amour-propre. Il cherchait dans ses tas ce qu’il avait de mieux, et quand il avait trouvé des pièces intactes, il les vantait naïvement et exaltait sa marchandise.

— Voyez quelles côtes, s’écriait-il, ce sont des côtes des Français tués en 1808 ! quelles belles têtes ! — Que hermosas calaveras ! comme elles sont blanches !

— Est-ce que cette petite tête, qui est là dans le coin, n’est pas une tête de femme ? dit une jeune manola aux lèvres fraîches, aux joues brunes et roses, qui écoutait curieusement, ses beaux yeux noirs ouverts tout grands.

— Que ce soit une tête d’homme ou une tête de femme, répondit le fossoyeur en ricanant, ma fille, — hija, — elle n’en parle pas davantage maintenant !

Il était nuit. En sortant du Campo Santo, je jetai quelques cuartos sur un drap noir aux quatre coins duquel brûlaient quatre cierges. On l’avait étendu là pour recevoir les aumônes destinées aux pauvres enterrés dans le cimetière, afin de faire dire des messes au profit de leurs ames.


Lord Feeling[1].
  1. Un de nos collaborateurs, qui a publié dans la Revue divers morceaux sur l’Espagne qu’il a visitée à plusieurs reprises, va faire paraître, chez le libraire Charpentier, deux volumes intitulés : Voyages et Aventures en Espagne, que nous recommanderions vivement d’avance, si leur propre valeur et l’intérêt qu’ils empruntent des circonstances ne leur assuraient des chances de succès suffisantes. Le fragment qu’on vient de lire appartient à cet ouvrage.

    (N. du D.)