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LES CIMETIÈRES DE MADRID.

Les musiciens n’étaient pas des premiers virtuoses, non plus que les chanteurs ; mais il y avait entre ces rudes instrumens et ces voix sans art, un accord surhumain de charité, un ensemble de pieuse harmonie que n’ont point les concerts des maîtres. Ces chants, partis de l’ame, allaient à l’ame. On eût dit que Notre-Dame de la Miséricorde, tenant sa harpe du ciel, les conduisait elle-même, et les faisait vibrer à l’unisson de la mélodieuse pitié de son cœur !

Après le Miserere, le prélat descendit de l’autel assisté des deux prêtres ; il s’approcha de la bière, récita le Pater noster ; puis l’eau bénite et l’encensoir lui furent présentés successivement, et il bénit et encensa le pauvre.

La solennité n’avait pas fini avec ces chants, ces prières et ces bénédictions. Le mort devait être accompagné processionnellement jusqu’au cimetière.

La confrérie vint prendre ses bannières et ses bâtons, et sortit sur deux files, chacun de ses membres tenant un cierge de cire jaune à la main.

Onze frères de la Orden Tercera s’approchèrent alors, et quatre d’entre eux enlevèrent la bière sur leurs épaules. Les autres suivirent, et après eux un grand nombre de religieux de divers ordres : les prêtres qui avaient officié fermèrent la marche.

Les frères de la Orden Tercera sont des manières de demi-moines agrégés à la religion de saint François. Bien qu’ils soient soumis à certains actes réguliers de vie commune, et qu’ils portent un habit qui diffère peu de celui des Franciscains, ils peuvent se marier, et vivent séparément chacun dans leur maison. À Madrid, ils ont une chapelle annexée au couvent de San-Francisco, où ils sont de service à tour de rôle, de même qu’une milice urbaine. Ce sont des volontaires religieux ; c’est comme une garde monacale.

Ces frères ont le privilége de porter au Campo Santo les morts assez riches pour leur payer ce bon office. Le pauvre du convoi était traité en riche, voilà pourquoi il avait à ses funérailles ce luxe des frères de la Orden Tercera.

La procession descendit lentement le perron de l’église et monta la rue d’Atocha, prenant à gauche la ruelle qui mène au cimetière de l’hôpital.