Renaud, Renaud, ah ! je vous reconnais ; vous êtes mon fils. C’est vous, Renaud, voilà le petit signe que vous avez près de l’œil. Renaud, comment avez-vous pu voir ma douleur sans me dire que c’était vous ? — Ô mon fils ! mon fils ! où est allée la grâce de votre beau visage, maintenant si changé ?…. — Vous étiez une créature si belle et si forte. Renaud, oh ! le plus bel enfant sur le berceau duquel une mère ait jamais chanté ! que vous êtes pâle et maigri ! — Mais voilà aussi mes trois autres fils. Ah ! mon sang se calcine dans mes veines de compassion et de douleur en les voyant si misérables. — Mes innocens, mes pauvres innocens !…
Mais loués soient Dieu et la vierge Marie ! Venez, mes fils, je veux vous embrasser tous. Venez, et je vous donnerai des habits, de l’argent et de l’or, car votre aspect me brise le cœur.
Ah ! je savais bien, ma mère, que vous deviez déplorer notre absence ! Et nous aussi, nous avons eu lieu de la pleurer, car, depuis que vous ne nous avez vus, nous avons enduré bien des fatigues et des souffrances.
Mais qui donc a pu vous réduire à cet état ?
C’est toujours notre père qui nous a perdus. Il a tué tous nos gens sans en excepter un seul, et il nous en aurait fait autant, s’il avait pu. Nous avons vécu long-temps au milieu des forêts, ne mangeant que des racines amères ; mais enfin, nous nous sommes décidés à venir tous ensemble vous trouver, ma mère aimée, pour vous prier d’avoir pitié de nous, et de nous donner de quoi conserver notre vie.
Asseyez-vous près de cette table, mes quatre créatures chéries. Oh ! mon cœur éclate de douleur quand je songe à la fureur du duc Aymon, votre père, qui n’a ni pitié, ni tendresse pour son propre sang.
La duchesse appelle alors son intendant pour qu’il fasse servir à dîner à ses fils. Les quatre frères se mettent à table, commencent à manger, quand tout à coup le son du cor et les aboiemens des chiens se font entendre. — C’est votre père, dit la duchesse en se levant épouvantée ; et c’est effectivement le duc Aymon qui revient de la chasse, qui entre et reconnaît ses enfans. On comprend d’avance toute la scène ; elle est pleine de mouvement et de passion. Le duc repousse les prières de ses fils, il leur ordonne de sortir du château. — Vous n’aurez rien de moi, je l’ai juré, répond-il à