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POÉSIES POPULAIRES DE LA BRETAGNE.

Cependant j’étais sorti de la ville sous la conduite de Jacques Riwal, et nous arrivâmes bientôt au lieu de la représentation. Le théâtre avait été dressé au milieu d’une vaste garenne autour de laquelle des planches mal clouées sur des pieux enfoncés en terre formaient une triple rangée de bancs. Les spectateurs qui n’avaient pu trouver place sur ces gradins, se tenaient debout par derrière ; les arbres des champs voisins, les fossés, les croix du chemin, et les toits de quelques maisons assez éloignées, étaient couverts d’enfans et d’écoliers. Le nombre total des spectateurs pouvait s’élever à trois mille ; après d’assez longues recherches, nous parvînmes à trouver place sur un banc.

La scène était vide au moment de notre entrée. Un acte venait de finir, et Charlemagne buvait dans une grange voisine avec ses chevaliers ; il fallait attendre assez long-temps. J’éprouvais une impatience d’autant plus vive que je ne connaissais point encore la tragédie des Quatre fils d’Aymon. J’étais curieux de voir quelle forme le poète avait donnée à cette svelte et féerique légende, de savoir comment il avait approprié à de rudes et carrés Bretons ces élégantes images de chevaliers à cors d’ivoire, à armures diamantées et à fines devises. Je savais par cœur mon histoire des quatre fils d’Aymon, telle que je l’avais lue imprimée sur papier d’emballage de Limoges, dans ces bonnes éditions du peuple, sales et solides comme lui, et les seules peut-être qui échapperont à la pourriture et aux vers, alors que les œuvres élégantes de notre typographie économique auront vu tomber en poudre la dernière de leurs pages cotonneuses et chlorurées. Cependant, en attendant que la représentation commençât, j’interrogeai mon compagnon sur ce drame.

Les Quatre fils d’Aymon, monsieur, me dit-il, c’est une bien belle pièce en sept journées, où il y a beaucoup de marches et de batailles. J’ai joué autrefois le rôle de Renaud à Tréguier, c’est un bien beau personnage pour un paysan. Il y a plaisir à avoir ainsi, pendant toute une journée, des habits dorés sur le corps, des nobles à bâtonner, et des seigneurs à fouler aux pieds. Par instant on croit que c’est une réalité ; et puis on peut se révolter tout haut, et l’on entend les autres qui applaudissent. On peut dire en bon breton ce qu’on a sur le cœur, et qu’on ne saurait pas dire soi-même ; ça vous lève un fardeau de dessus la poitrine de réciter des vers comme ceux-ci ; et Jacques Riwal se mettait à déclamer :

« Il y a dans le palais du roi bien des nobles qui méritent le nom de traîtres ; mais je les récompenserai un jour selon leurs œuvres, si je vis. Il est temps de montrer que nous avons du cœur. Oh ! je m’arracherai